Un cocktail de matières dangereuses traverse trois fois par jour, en moyenne, les municipalités de Milan, Nantes, Lac-Mégantic et Frontenac, sur la voie ferrée du CPKC. (Photo Robert Bellefeur)
En moyenne, trois trains de la compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique Kansas City (CPKC) contenant des matières dangereuses circulent quotidiennement sur la voie ferrée entre Sherbrooke et Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, traversant au passage les municipalités de Milan, Nantes, Lac-Mégantic et Frontenac. Parmi les substances transportées, du gaz de pétrole liquéfié, de l’acide sulfurique, un mélange d’éthanol et d’essence et de l’ammoniac anhydre. Un cocktail jugé explosif et dangereux en cas d’accident.
En vertu de la loi d’accès à l’information, L’Écho a tenté d’obtenir de la Ville de Lac-Mégantic les données sur la nature des matières dangereuses qui circulent sur la voie ferrée de la compagnie Canadien Pacifique Kansas City (CPKC) et la fréquence quotidienne des trains, à partir des rapports que la compagnie de chemin de fer s’est engagée à faire parvenir à la municipalité, dans le respect de l’Ordre 36 de Transport Canada. Le 12 septembre, une demande d’accès à l’information a été adressée à la Ville et à la Commission d’accès à l’information, à Québec, à l’expiration des 90 jours de délai demandée. Le 31 octobre, la réponse de l’hôtel de ville indiquait que «les rapports de matières dangereuses peuvent être rendus publics à la discrétion de l’agent de planification des mesures d’urgence désigné ou autres fonctionnaires de cette compétence.» Au terme d’une courte conversation téléphonique avec l’ingénieur en chef Conrad Lebrun, ce dernier a conclu qu’il ne recommanderait pas au coordonnateur de fournir les rapports.
Trafic dangereux
Dans une série d’articles traitant du 10e anniversaire de la tragédie de Lac-Mégantic et de la sécurité ferroviaire, publiés l’été dernier, deux journalistes de Les Coops de l’information rattachés au quotidien Le Soleil, Marc Allard et Patricia Rainville, ont pourtant eu accès à ces données. Les rapports de 2021 et de 2022 sur la densité du trafic dangereux transmis à la Ville de Lac-Mégantic par le Canadien Pacifique, obtenus en vertu de la loi d’accès à l’information, «divulguent pour la première fois au public la quantité de trains transportant des matières dangereuses qui roulent quotidiennement dans la municipalité, ainsi que les types de substances transportées», écrivent-ils sous le titre «Trois trains de matières dangereuses par jour à Lac-Mégantic», paru le 20 juillet 2023.
Le propane est la matière dangereuse la plus transportée sur la voie ferrée traversant la ville de Lac-Mégantic selon les rapports de 2021 et 2022. Le CP informe la Ville, mais l’information ne se rend pas aux citoyens et aux résidents qui habitent près de la voie ferrée, notent les auteurs. Des substances inflammables, corrosives, toxiques et potentiellement explosives qui traversent aussi d’autres municipalités de la région de l’Estrie, dont Sherbrooke.
Intervenant de première ligne dans la série documentaire en quatre épisodes de Philippe Falardeau «Mégantic - Ceci n’est pas un accident», diffusée sur le réseau TVA en novembre dernier, Robert Bellefleur exerce une surveillance sans relâche sur les convois qui circulent derrière son domicile, rue de la Baie-des-Sables. À l’aide d’une caméra de chasse, d’abord, puis d’un drone qui lui fournit des preuves irréfutables que les convois qui traversent la ville quotidiennement sont de plus en plus longs, il est à même de déchiffrer les codes à quatre chiffres affichés sur les wagons-citernes, indiquant les substances qui s’y trouvent. Sur les images, souvent du propane et de l’éthanol et régulièrement du chlorate de sodium ou de l’acide sulfurique. «Ce cocktail des matières dangereuses transportées par train aujourd’hui est plus dangereux que le pétrole brut qui a tué 47 personnes le 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic.»
Cité par les journalistes de Les Coops de l’information, le président de la Fédération québécoise des municipalités, Jacques Demers, déclarait: «Avant juillet 2013, avoir de l’information relevait du miracle. Lac-Mégantic a permis d’ouvrir des portes de dialogue et a mis en place plus de transparence.» Mais la transparence n’est pas la principale force de la compagnie de chemin de fer CPKC. «Les villes devraient notamment être informées des nouvelles matières dangereuses qui circulent sur les rails avant et non après qu’elles soient passées. Je n’ai jamais vu une compagnie qui a autant de pouvoir que les compagnies ferroviaires, avec leurs règles, leur police, et qui passent chaque jour dans nos municipalités.»
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