La ville des âmes en peine

La ville des âmes en peine  - Rémi Tremblay : Actualités  Tragédie à Lac-Mégantic

La semaine se terminait pourtant bien. Jeudi, la mairesse Colette me recevait pour faire un bilan de son séjour en France. La morosité politique et économique, là-bas, offrait des opportunités d'affaires qui laissaient planer des jours meilleurs pour la ville et la région. «Quand on se regarde on se désole mais quand on se compare on se console», disait Colette. Au même moment, Pierre, notre collaborateur photographe, se trouvait à la gare patrimoniale pour les débuts de l'exposition sur l'histoire du chemin de fer. Le chemin de fer qui a amené la création et le développement de la ville.

Vendredi, Sophie du Musi-Café m'appelait pour qu'on puisse parler davantage du bar, après tant d'efforts sur des travaux intérieurs. Vendredi midi, Nicolas et l'équipe de la Traversée internationale du lac Mégantic dévoilaient la programmation. Un record de nageurs et de pays inscrits. Le retour de l'équipe du Brésil favorise aussi le Dollarama, un commerce que les nageurs brésiliens ont beaucoup fréquenté l'an dernier. Un Dollarama tout neuf! Quelques minutes plus tard, après avoir dîné avec Yannick, le proprio du Musi-Café, le député et ministre Christian faisait l'annonce de subventions pour des programmes d'emplois étudiants, devant les bureaux d'accueil touristique, dans la gare patrimoniale. Au comptoir d'information, un couple de visiteurs de Boston s'informait des endroits à visiter. Leur premier séjour en terre méganticoise.

La fin de semaine allait être agréable, surtout que la température chaude acclamait le retour de l'été après des jours de pluie. En soirée, le Musi-Café accueillait une masse d'habitués et de nouveaux venus.

Fin de l'histoire d'une vie qui filait comme un long fleuve tranquille.

Peu après 1 heure du matin, début d'un nouveau chapitre. Réveil brutal de mon fils Pierre arrivé en panique: vite il faut évacuer. Le centre-ville est en feu! Quelques minutes plus tôt, il était devant l'écran de son ordinateur, dans son logement du boulevard des Vétérans quand le ciel s'est enflammé! Sur le pilote automatique, en mode panique, réveille la conjointe,Marie-Douce, et les enfants, Félix et Maïllée. On sort vite! Dans l'escalier, il se souvient que ses clés d'autos sont quelque part dans la cuisine. Dans la noirceur, dieu du ciel, il les retrouve. Des secondes d’angoisse. Départ rapide vers le chemin des condos. Direction chez nous. Le temps de rejoindre ma fille Anne-Marie sur Laviolette et on «décrisse», toute la troupe, vers Nantes. Terre de salut ! Refugiés chez Maryse et son conjoint André, avec Line et ses filles.

Yannick, le proprio du Musi-Café, est sorti de sa maison de la rue Papineau et court vers le centre-ville sans prendre le temps d'enfiler une chemise. Personne ne sait ce qui se passe mais le ciel en feu, les explosions en chaîne et un bruit sifflant de gaz qui s'échappent de partout donnent à la scène des allures de fin du monde.

Au centre-ville, l'enfer recrache toutes ses entrailles. Vomissement rouge sur lit noir. Ironie du sort, des fumeurs doivent la vie à leur cigarette. Plusieurs clients du bar, au coeur même du tourbillon de flammes, ont été les seuls à pouvoir s'échapper. Yvon vient à peine de quitter ses amis, qu'en traversant la rue Frontenac pour regagner le condo, il voit venir le train qui entre en ville à folle allure. Le train de la mort ne s'arrêtera pas.
Quelques secondes plus tôt, René s’étonne. Le clic-clic du train roulant sur les rails, il connaît! Mais cette fois, pas d’espacement entre les clic-clics. À l’oreille, le convoi file à 60… milles à l’heure!

La caravane des 73 wagons-citernes noir déraille au détour. Le bruit, le renversement, le déversement, l’empilement, la rivière de pétrole brut et le feu… Un torrent de flammes qui suit la gravité du terrain sur le lit d’un ancien ruisseau! Yvon court... le mur de feu derrière lui le pourchasse à travers les haies de cèdre. Rue Frontenac, Bernard, le cuisinier, est sorti griller une cigarette et rejoindre d'autres clients qui profitent d'une fin de soirée chaude. Les bombes sur rail se renversent, s'empilent les uns sur les autres, se vident et l'incendie s'allume! Les plus chanceux réussissent à fuir à toutes jambes, l'un d'eux avec son verre encore en main. Maude court, la chaleur dans son dos est intense. Il ne faut pas s'arrêter. Une cliente veut regagner son auto, stationnée de l'autre côté de la rue. La fureur du tsunami de flammes, de quatre pieds de haut, ne lui laissera aucune chance.

Chacun a son histoire d'horreur à raconter. Des images qui ne s'effaceront pas. Sur le boulevard des Vétérans, Louis-Serge aperçoit le torrent surgir dans la cour arrière. Vite, Thérèse est déjà dehors, ainsi que les voisins, Jacques et Violette. Tout le monde grimpe dans l'auto. Un voisin, Serge, a tout juste le temps de prendre la petite-fille qu'il garde avec Carole et de la «jeter» sur un siège. L'auto démarre en trombe. Dans le rétroviseur, des images de fin du monde! Plus loin, Denis a le même réflexe de survie avec Céline. La fuite en mode urgence. De l'autre côté du boulevard, Patrice et Jacynthe sortent les enfants. Le doc va cogner chez la voisine d'en face. Elle aura la vie sauve, mais pas Roger, le locataire d'en haut qui ne se réveillera pas. Line et ses filles sortent de leur logement en courant. Pas le temps de prendre la voiture. Richard habite voisin du centre funéraire Jacques & Fils quand le bruit et le ciel orange le réveillent. «Je suis parti du Musi-Café il devait être 11h30 (23h30). J'ai vu tout le monde qui sont là, je les ai tous vus toute la gang, même mes meilleurs amis sont tous là! Quand je suis allé me coucher, je me suis fait réveiller par un bruit que j'avais jamais entendu, du métal sur métal... On dirait que c'était les trains qui breakaient sur la track! Ca grichait et là, ça s'est mis à vibrer. Quand je me suis ouvert les yeux, moi je suis marqué pas ça, je dors pas... J'ai dormi je pense quatre heures depuis vendredi (l'entretien se déroule lundi matin). C'est le jaune orange dans ma chambre. C'était tellement clair... Je ne savais pas c'était quoi. Je suis sorti dehors, au bout du mur de la maison, les trains s'empilaient tous. Et là ça a pété! Quand j'ai vu la boule de feu s'en venir, là j'ai vu la boule longer le mur des ambulances, y'a fait assez chaud, là!». Sur l'adrénaline il est revenu dans son logement. «Je cherche mon portefeuille, mon cellulaire, mes clés de char, elles étaient sur la table et je ne les voyais pas.»

L'évacuation commence. Désordonnée mais sans incident. Direction rue Laval vers le Carrefour, Walmart et Laval-Nord. Quelque temps plus tard, le défilé de camions incendie vers le centre-ville donne le ton à la nuit qui promet d'être longue.

Une dame revenant de Sherbrooke a aperçu un semblant de lever de soleil orangé dans le ciel de Mégantic. Ben, qui travaille à Radio-Canada, découvre le phénomène depuis Milan. L'impossible est arrivé! Il sera l'un des premiers à pouvoir alimenter RDI en images depuis sa ville natale en feu!

Déjà, la vie à Lac-Mégantic vient de basculer. En l'espace de quelques heures, une petite ville de 6000 habitants deviendra le point d'intérêt d'une partie de la population de la planète! Le passage de «la voie ferrée à la voie lactée» à vitesse grand V comme le train fou qui a profité d'un moment d'inattention, d'une erreur mécanique ou humaine «what the fuck» pour aller faucher des dizaines de vies.

Un drame prévisible, mais jamais de cette ampleur! Jamais à un tel coût humain! Jamais d'une telle violence aveugle! Alors, facile d'imaginer ce qui serait arrivé si, dans la centaine de produits dangereux qui roulaient quotidiennement sur cette foutue ligne de chemin de fer, il s'était trouvé des matières hautement toxiques, tel du chlore. Facile d'imaginer ce qui se serait passé si le train fou avait échappé à son conducteur un vendredi midi, comme il en passait si souvent, au quotidien! Il ne pouvait cramer à une pire place. Une zone urbaine encore fortement animée en ce vendredi soir où les esprits étaient à la fête!

Samedi et dimanche, alors que s'installait un «village» de réfugiés à la poly, les médias débarquaient de Montréal et d'ailleurs pour témoigner du pire et les politiciens de toutes tendances, de tous paliers de gouvernement, de toutes couleurs, se pointaient en guise de soutien. Pauline Marois et Stephen Harper, eux, en étaient à leur première visite.

La mairesse Colette n'a jamais été autant entourée d'amour. Cette femme est forte! Colette est une géante, n'en doutez plus! Elle, la première, n'en veut plus de train dans sa cour. Le conseil municipal a eu tellement de misère à dealer avec Montreal Maine & Atlantic ces dernières années. Sûrement que le centre-ville ne se reconstruira pas avant que la solution soit trouvée.

Dans la population, les images, le bruit des explosions hantent, jour et nuit. La peur s'installe dans le subconscient! Des enfants réagissent aux moindres bruits. Une moto qui passe, aux oreilles d'un enfant, peut être confondu avec le bruit de cet hélicoptère qui survolait tantôt la maison à basse altitude, en dehors de la zone sinistrée. Zone sinistrée ou zone de guerre, barricadée pour nous protéger! Disent-ils!

Ce matin, quel jour on est? Lundi. La pile du cellulaire est à plat. Le chargeur est à la maison, en zone jaune. Passeport obligé! Avec mon chandail du «Che» pris en vitesse par mon gendre au cours d'une visite «autorisée» à la maison, je me pointe aux barricades, gardées par des agents de la GRC. Moi le sans-papier, ma carte de presse laissée sur un meuble à la maison. «Je ne suis pas dangereux!» leur dis-je! Mais, dans une ville assiégée, il faut montrer patte blanche! On ne défie pas l'autorité. En marche vers Fatima, le sud, pour contourner le périmètre délimité en rouge, je croise François. Le thanatologue est préoccupé. Le centre funéraire est rasé, le crématorium aussi! La ville sera-t-elle vraiment capable de s'en remettre? En mission commandée, il travaille avec le bureau du coroner à recueillir les corps calcinés sur les différentes «scènes de crime». Le respect est de mise.

En route pour l'autre partie de la ville, j'emprunte le pont des motoneiges... un endroit qui échappe à la surveillance policière. Endroit bucolique. Un carouge siffle! Les moustiques sont à la recherche de chair fraîche. En bordure du sentier pédestre nouvellement aménagé, des panneaux pour rappeler la beauté du sanctuaire. La rivière Chaudière a pris des drôles de couleurs. Des nappes huileuses arc-en-ciel suivent le courant direction le Saint-Laurent. Le voyage sera long. La rive est macabre. Visqueuse! À oublier par les pêcheurs pour un bon bout de temps! Les milliers de truites récemment ensemencées ont-elles survécu dans cette marée qui a mis des heures à atteindre Saint-Georges et des heures encore à rejoindre Charny? Le long du cours d'eau, un camion pompe les eaux pétrolières qui ont échappé aux flammes, après le déversement de la centaine de milliers de litres de leur bel or noir! Je ne suis pas le bienvenu! Tant pis! Retour à la maison, avec les idées tout mélangées.

Ces 48 dernières heures, les âmes en peine rencontrées au fil des milliers de pas, entre la ligne de feu, près de la caisse populaire et le centre névralgique des opérations, basé à la poly, ont eu besoin de parler d'un événement irréel qui les a sérieusement secoués. À la télé, on passe en boucle une nouvelle télé-réalité Les explosions à Lac-Mégantic. Des témoignages à la tonne! Des proches des victimes qui ont tous fait preuve d'une belle dignité dans l'épreuve. On a de quoi être fiers de nos représentants tels la mairesse Colette, le préfet Maurice, le député Ghislain et le ministre Christian, des responsables sur le terrain tel le directeur du service des incendies, Denis Lauzon, du directeur de la Sûreté du Québec de la MRC du Granit, Daniel Campagna, des responsables de départements à la voirie, au transport, name it! Jamais été aussi fier d'être Méganticois depuis le championnat du Turmel!

Et jamais aussi en colère contre Montréal Maine & Atlantic! L'entrepreneur Raymond a tellement bien parlé à RDI quand il a laissé crier le fond de son cœur et de sa pensée! Il perd quatre membres de son entourage. MMA, une compagnie broche à foin subventionnée à coups de millions par le fédéral et qui n’a jamais eu le moindre respect envers la communauté!

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