Oscar Brochu

Les sourires sont rares à Fatima

L’hiver 2012-2013 à Lac-Mégantic ne fut pas un hiver dur comme on en a parfois; pas de très grands froids, ni de grosses tempêtes de neige, ni de verglas. Un bel hiver. Quand avril arrive, les perce-neiges, les pissenlits et autres fleurs printanières accompagnent les beaux gazons verts de nos parcs et pelouses. Les gens s’affairent à préparer leurs plates-bandes et leurs boîtes à fleurs, ils sont fiers de leur beau coin de pays et veulent faire leur part pour rendre la vile aussi belle et accueillante que possible.
Début juin, les employés de la ville accrochent les bacs de fleurs aux lampadaires du centre-ville et aux poteaux des trois entrées de la ville, soit la rue Laval, la rue Agnès et la rue Salaberry. Beaucoup de commerces décorent leur devanture avec des fleurs variées.

Les restos bars, Musi-Café, Ariko et le Casino installent leurs terrasses avec des palmiers naturels. Notre centre-ville est très beau cette année. Le parc J.E. Cloutier et son horloge solaire, le parc du boulevard des Vétérans et le parc de l’OTJ sont là pour nos loisirs, nos périodes de repos et sont aussi des attraits pour les touristes.

Un jour, j’étais assis au parc des Vétérans lorsque trois couples de touristes en moto passent près de moi, je les entends dire: «Pourquoi ce ne serait pas comme ça chez nous, c’est tellement beau ici, le lac, les arbres centenaires et cette belle tranquillité d’une petite ville de campagne». Le soleil descendait doucement sur le lac, c’était vraiment beau.

Je me souviens le 5 juillet, c’était un vendredi, la journée avait été une belle journée comme tant d’autres, après le souper on est allés marcher au centre-ville. On commence par le parc J.E. Cloutier, on vérifie l’heure avec l’horloge solaire et l’ombre de notre corps placé au bon endroit, c’est la bonne heure. La terrasse du Citron Vert sur le bord du lac est remplie de gens qui commencent la fin de semaine en relaxant. Ce sera une belle fin de semaine à Lac-Mégantic. On marche dans le parc sur le bord du lac, on rencontre des amis, on jase un peu puis on repart vers la rue Frontenac. On s’arrête devant le Lambrequin, magasin d’antiquités et d’œuvres d’art, on pourrait y passer beaucoup plus de temps. De l’autre côté, la terrasse du Musi-Café est remplie de travailleurs de tous âges contents de se rencontrer devant une consommation. Plus bas, le Dollarama libère ses derniers clients satisfaits de leurs aubaines, le magasin a été rénové et agrandi, c’est un des plus beaux au Québec, il est ouvert depuis peu. Les terrasses du Ariko et du Casino sont moins achalandées, mais il est encore tôt.

Sur le chemin du retour, on rencontre et salue les gens d’ici et des environs et aussi des touristes, ils sont venus passer quelques jours ou simplement se sont arrêtés en passant. Ils sont déjà venus et ils reviendront puisque c’est plaisant de faire escale à Lac-Mégantic. Le bar glacé accueille les petites familles qui veulent se rafraîchir pendant que d’autres contemplent le petit barrage sur la rivière juste à côté.

De retour à la maison, un peu de lecture, les nouvelles puis on se prépare à passer une bonne nuit. Pendant cette belle nuit-là, une tragédie a secoué la ville. Un train sans contrôle est entré en ville à une vitesse folle et un déraillement s’en suivit. Sur les soixante-douze wagons transportant du pétrole, la plupart sont éventrés, le liquide envahit le centre-ville rasant et brûlant maisons et commerces sur son passage.

Quarante-sept personnes sont brûlées vives. Moi, j’habite à la sortie de la ville vers Frontenac, je dors dur et les bruits des explosions ne m’ont pas réveillé. À mon réveil, pas de télévision ni de téléphone, probablement qu’un accident est arrivé pas loin. On ne voyait pas la fumée noire puisque notre maison est entourée d’arbres matures. Vers sept heures trente, quelqu’un arrive chez nous en pleurs, pour nous dire que le centre-ville est en train de brûler. Un peu plus tard, je vais avec d’autres à la croix sur la rue La Fontaine, de là, la vue qui s’offre à nous, habituellement si belle, d’une petite ville tranquille avec son parc et son beau lac, ce jour-là, on croirait voir un film de guerre après un bombardement.

Chez nous, les jours passent dans le silence et la désolation. La ville est envahie de policiers, on ne peut pas s’approcher du lieu de la catastrophe et c’est mieux comme ça. Beaucoup de touristes, curieux de voir de leurs yeux ce qu’ils voient constamment aux nouvelles sur la plupart des réseaux d’information. Quand l’incendie est maitrisé, il faut retrouver les corps des personnes manquantes, des experts dans plusieurs domaines se font la main puisqu’une catastrophe comme celle-là n’est jamais arrivée en Amérique du Nord.
De temps à autre, je vais voir de loin où en sont rendus les travaux de nettoyage du chantier. Une clôture de trois mètres de haut entoure complètement le site contaminé. C’est un peu pour voir toutes ces machineries travailler, des pelles mécaniques, des camions bennes, des camions pompes, des citernes, des camionnettes sillonnent le chantier, c’est à se demander si chacun sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait. Chaque fois que j’y retourne, je vois toujours ces pelles mécaniques creuser un peu partout et de plus en plus creux. Un jour, il fallait savoir où elle était pour voir une excavatrice travailler, elle sortait de la terre souillée, à peu près où était situé le Musi-Café; elle la donnait à un autre, qui la montait plus haut et une autre la chargeait dans un camion. Celui-ci allait la porter plus loin, de là, une pelle mécanique la montait plus haut, puis une autre faisait de même et une autre la montait encore plus haut, on dirait une gang de petits gars dans un grand carré de sable.

Beaucoup de personnes auraient aimé s’approcher un peu plus mais toutes les entrées étaient contrôlées par Garda, une compagnie de sécurité. Chaque camion qui entre ou sort du chantier est enregistré avec son chargement. Beaucoup de ces camions viennent de l’extérieur de la région, je ne les ai jamais vus, je connais tous les camions du coin. J’aime bien les camions, j’envie un peu les chauffeurs. Peut-être que ces gars-là aimeraient mieux être sur la route et voir de beaux paysages plutôt que d’avoir les yeux sur une catastrophe.

Quelques semaines plus tard, je retourne près de la clôture constater où en sont rendus les travaux. Un groupe travaille à préparer le retour du train, un autre continue la rue Papineau vers le sud et d’autres travailleurs commencent la construction de quatre bâtisses pouvant recevoir une vingtaine de commerces, pour remplacer ceux qui ont été détruits par le sinistre. Ce jour-là, je m’aperçois que les montagnes de terre souillée ont diminué de moitié. Des pelles mécaniques chargent la terre dans les camions, qui eux sortent du chantier et vont porter cette terre à quelques kilomètres de là, dépassé l’usine Tafisa. De grandes plateformes en asphalte ont été préparées pour recevoir cette terre en vue de la décontamination un peu plus tard. Là aussi, les pelles mécaniques se passent le matériau pour en faire de gros tas bien droits.

Une autre catastrophe, celle-là annoncée arrivera à Lac-Mégantic après les Fêtes. À Notre-Dame de Fatima, ma paroisse, qui deviendra un secteur, sera bouleversée par la démolition de notre église, déjà fermée depuis septembre, non pas à cause de la tragédie mais pour la même raison que toutes les autres églises qui ferment au Québec, c’est à dire le manque de prêtres et aussi de paroissiens pratiquants. Plusieurs maisons et quelques commerces seront démolis pour faire place à des commerces de grande surface, comme Métro, Jean Coutu et quelques autres. Depuis plusieurs années, la ville de Lac-Mégantic voulait revitaliser le secteur de Fatima, ce sera tout un changement et personne n’en demandait autant.
Je m’imagine un peu l’émoi de ces gens qui verront leurs maisons être démolies par des pelles mécaniques agressives. Ces maisons où ils ont été heureux la plupart du temps. Notre belle église, solide, bâtie de pierres de granit, aurait pu durer des centaines d’années. J’irai sûrement quelques fois voir ces travaux de démolition. D’autres seront là tous les jours, beaucoup de gens pleureront en silence dans leur logis, trop près du chantier. Les sourires sont rares à Notre-Dame de Fatima en ces jours de branle-bas. Soyons positifs, dans cinq ans, beaucoup de choses auront changées mais non oubliées.

Les évènements du 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic auront apporté un grand dérangement, notre belle petite ville ne sera plus jamais pareille. Je l’aimais bien avant. Pour moi, Lac-Mégantic était la plus belle petite ville au monde, mon monde à moi.

Un petit gars de Lac-Mégantic (71 ans)
Marcel Lessard

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