De bons voisins

Vous les entendez rarement se plaindre. Ils font leur petite affaire discrètement et n’envahissent surtout pas votre espace. Quand vous avez besoin d’eux, ils répondent vite à l’appel, parce qu’ils partagent vos valeurs, vos projets, vos inquiétudes! De bons voisins, en somme. Jamais dérangeants, ils vivent en complémentarité, mais refusent l’idée d’une copropriété. Ils se battront pour rester maîtres chez eux!

Les gens de Frontenac n’ont pas pris la rue quand, après le 6 juillet 2013, il a été question de construire une voie de contournement ferroviaire drette là, au centre de leur cour. À travers les champs, les milieux habités. Ils n’ont pas brandi les pancartes, déchiré leur chemise ni joué un épisode des Misérables devant les caméras de TVA, mais on devine tout de même leur inquiétude sur ce qui se trame dans les bureaux des ingénieurs de la firme Aecom. L’étude de faisabilité prendra du temps, certes, et ce n’est pas demain la veille où les premiers rails seront posés sur un tracé qui, inévitablement, va les traverser. Inévitablement? Pas si sûr! Eux se croisent les doigts et préparent leur position si jamais, un jour, ils viennent qu’à être collectivement consultés et partiellement expropriés.

Pour eux, la tentative de fusion municipale, c’est déjà une histoire ancienne. Ils ont eu chaud mais à la toute dernière minute, dans les coulisses du pouvoir, ils ont pu conserver leur autonomie en s’engageant à devenir de bons partenaires pour les projets régionaux mis de l’avant par Lac-Mégantic. Le mariage n’a pas été célébré, mais les conjoints ont été condamnés à vivre côte à côte pour le meilleur et pour le pire. Ils ont respecté leur engagement solennel et payé leur juste part dans des équipements mis en commun.

En bons voisins, ils se préparent justement à inaugurer la rampe d’accès des bateaux au lac Mégantic sur le terrain de l’ancien camping Mercier. Ils comptent même équiper le site d’un bassin de lavage pour les embarcations, question de faire leur part dans la protection de la qualité des eaux du lac, alors qu’au même moment, on finit par apprendre, en fouillant un peu, que Lac-Mégantic s’est retirée du programme Environnement-plage, autant à l’OTJ qu’au complexe Baie-des-Sables. Un programme du ministère du Développement durable et de toutes ces choses-là qu’ils mettent au bout du long nom et qui finit par… lutte aux changements climatiques! Lac-Mégantic a choisi de couper dans le gras! Fuck les dépenses inutiles. Les 10$ par analyse d’échantillons en laboratoires! Frontenac, elle, a plutôt choisi d’investir et de défendre ses investissements envers et contre tous. Le courage!

Faudra bien qu’un jour nos voisins du sud de la Chaudière expriment leurs sentiments quand ils entendent l’écho des tambours qui martèlent, manifestation après manifestation, «on veut la voie de contournement à tout prix !» Sortez le danger du centre-ville et faites-le plutôt passer dans le milieu de la cour du voisin! Le discours des uns se tient, tout comme le discours, encore inaudible, des autres qui n’osent pas se retrouver le doigt, que dis-je, la main coincée entre l’arbre et l’écorce. Ils seront peut-être vus par certains activistes comme un obstacle dressé devant la solution qui paraît la plus évidente pour garantir la complète sécurité des Méganticois qui dorment d’un seul œil fermé ou les deux yeux grand ouverts quand ils entendent siffler le train aux petites heures de la nuit, mais autant, vous, les Méganticois, savez l’importance de la consultation populaire, autant vous respecterez le droit de vos voisins à être tout autant consultés, à chaque étape de l’étude qui les concerne au plus haut point.

Tous les discours entendus depuis trois ans convergent vers le même objectif: libérer le centre-ville «naturel» de ses chaînes d’acier qui l’encerclent. Sinon, comment concevoir une ville neuve, une villa nueva, tout en conservant cette barrière de rails où passent des convois toujours aussi laids, même si, désormais, on n’aligne pas plus que cinq ou six wagons-citernes noirs entre des wagons de marchandises qui servent de tampons?

Régler une situation d’injustice pour en créer une autre sur le terrain du voisin? Si la municipalité de Frontenac doit faire partie de la solution à 115 millions de dollars, laissons-lui au moins la chance de s’exprimer. Maintenant, pas après la décision finale! Pas après les expropriations. Lac-Mégantic leur doit ça. Parce que Frontenac, après le projet de fusion abandonné, a été la municipalité ayant le plus respecté ses engagements devant le ministre des Affaires municipales de l’époque, André Boisclair. Parce que Frontenac n’a pas essayé de tricher ni de changer les règles du «deal» à leur avantage. Peut-être aussi parce que Frontenac est la seule municipalité qui garde parmi ses élus celui qui a pris cet engagement il y a presque 15 ans, le maire Jean-Denis Cloutier. Tous les autres maires signataires ont été remplacés.