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«Je suis comme je suis»
Je suis sorti de la projection du film Nelly d’Anne Émond avec le même malaise ressenti à la lecture des romans de Nelly Arcan. De ce point de vue, le film est réussi parce que le malaise est là pour ébranler nos certitudes, forcer la réflexion. La part de vérité et la part de fiction importent peu; ce qui compte, c’est le regard d’Isabelle sur Nelly, sur les femmes et sur elle-même. Son regard est sans complaisance.
En titrant son premier roman Putain et le suivant Folle, l’auteure ne cherche pas de faux-semblants ni d’excuses: elle assume douloureusement sa dépendance au regard de l’autre, consciente d’être restée la petite fille qu’elle n’a jamais cessée d’être. La scène de séduction du psychiatre, figure paternelle, n’en est que plus troublante. L’idée est là: déstabiliser pour mieux s’en prendre aux tabous. Où nous attendions les frissons de la chair, elle nous offre la cruauté du miroir.
J’aurais aimé que le film dépasse l’obsession du regard des autres pour s’intéresser, même brièvement, à la lucidité de Nelly ou de Cynthia au moment où elle passe de la séduction à la soumission. C’est Cynthia qui ouvre et ferme la porte; c’est elle qui reçoit le client, perchée sur ses talons hauts, qui toise le mâle et prend la mesure de son pouvoir, tout aussi éphémère qu’illusoire. Comme Cendrillon, elle offre le moule parfait; monsieur peut prendre son pied, mais pas son âme. D’une certaine manière, l’objet se venge. C’est le mâle orgueilleux qui est baisé ici et deux fois plutôt qu’une: il paie et n’obtient qu’un soulagement. Pour qu’il le comprenne, dans Putain, Nelly laisse les boules de poussière et de poil courir sur le plancher afin que le suivant sache qu’il est le suivant. Nous ne sommes plus dans la volonté érotique mais dans la dénonciation d’un esclavage, même choisi. On sent le poids de la burqa de chair.
J’aurais aimé aussi qu’on fasse plus de place à l’écrivaine; j’aurais voulu savoir quels auteurs l’ont nourrie. Nos lectures ne sont pas innocentes: comme Isabelle, nous apprivoisons le mensonge littéraire pour mieux toucher la vérité. Le mensonge n’est rien moins que la vérité de l’être fragile, et nous le sommes tous. C’est sans compter les chemins de pieds que les livres nous font prendre. Un Compostelle sans «cielure» de «possiblium» et autres drogues.
Ça me rappelle l’échange lumineux entre un père et son fils dans «Le temps d’Alexandre» de Robert Jasmin. Devant la bibliothèque de son père, Alexandre lui demande s’il a lu tous les livres cordés sur les tablettes. Le père lui répond qu’il a lu la plupart d’entre eux. Comme ça, reprend le fils, quand tu me parles, il y a un peu d’eux dans ce que tu me dis. Le père acquiesce. Alexandre conclut alors que son père est comme la lune. Intrigué, ce dernier attend l’explication: «tu es comme la lune: tu n’éclaires que parce que tu es éclairé.» Quelles lumières ont touché l’esprit et le cœur d’Isabelle? C’était une lectrice curieuse, sa bibliothèque existe probablement encore, il y a sûrement des passages annotés ici et là, des bouées auxquelles s’accrocher dans cette traversée des idées et des sentiments.
Je sais qu’elle aimait particulièrement Prévert, poète lucide, parfois même cynique. Pensez aux poèmes: «Je suis comme je suis», «Cet amour», «Le contrôleur» ou «Le déjeuner du matin». Le pseudonyme Nelly Arcan n’est pas sans rappeler Émile Nelligan. Il suffit de lire Putain pour s’en convaincre. A-t-elle lu Anaïs Nin, Poe, Camus, Marquez ou «Belle du Seigneur» d’Albert Cohen? J’aurais aimé savoir pour faire quelques pas avec elle, pour ouvrir le dialogue. On a vu les clients de la chair, les amies de cœur, qui sont ceux de son imaginaire?
Je sais bien que le film ne se voulait pas une biographie, mais comme on a beaucoup vu l’escorte et l’amoureuse, j’attendais l’auteure. Je ne peux pas croire qu’Isabelle et ses amies ne parlaient que de leurs clients. La lucidité de son regard sur les autres et sur elle-même n’est pas un accident de parcours, mais une introspection douloureuse: «Je marche à côté de moi», lui fait dire, avec justesse, Mme Émond. J’ajouterais les mots de Saint-Denys Garneau: « À côté de moi, en joie.» Pourquoi Isabelle n’est-elle pas parvenue à mettre ses pieds dans ces pas là? Pourtant, il y a chez elle autant de force que de faiblesse; sinon, pourquoi aurait-elle poussé l’audace jusqu’à poster un premier manuscrit aux éditions du Seuil? Instinct suicidaire ou conscience d’avoir quelque chose à dire, quelque chose de différent à proposer, une écriture?
Paul Dostie
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