Oscar Brochu

Le galérien!

Quand vient le temps des pubs de planification financière pour la retraite, je repense à mon grand-père William. Vaillant travailleur d’usine, au moins huit bouches à nourrir, une modeste maison perchée à quelques pas de son lieu de travail emboucané, la grand-mère qui essaie de faire quelque chose avec des riens, des petits miracles au quotidien et une seule préoccupation commune, la survie pas de crédit.

Les grands-parents Fortin n’étaient ni plus pauvres ni plus riches que les gens de leur condition sociale, résignés à trimer dur pour que les enfants, à leur tour, aient de meilleures chances de passer à travers une vie de misère. Pas de télé, pas d’ordinateur mais pour tout loisir, ce moment de grâce où, tous agenouillés devant le crucifix, ils récitaient le chapelet.

William le taciturne. De lui et d’Anna, je garde le souvenir de deux éternels vieillards. Lui, le patriarche, le regard doux, portant fièrement la moustache, elle avec ses lunettes rondes à la John Lennon, dans des vêtements austères qui imposaient le respect des ti-culs qu’on était. Les deux sont morts chez eux, à trois mois d’intervalle, dans les années 60.

Même la maison a par la suite été rasée pour faire place au… garage du voisin!

William, n’ayant qu’un caveau à patates pour tout bâtiment secondaire, n’avait jamais connu le luxe de se payer un char, encore moins un voilier! L’h… de voilier qu’on voit toujours accompagnant un article sur la planification financière. Un voilier! Image subliminale par excellence qu’on nous mettait sous le nez au temps plus récent où on nous aspergeait d’un rêve nommé Liberté 55!

Comme si les planificateurs financiers n’avaient pas encore compris qu’avec Internet et les médias sociaux, la retraite ne se rêvera bientôt plus en terme de «grosse vie sale», les deux pieds dans le sable d’une plage du Sud à regarder flotter ton voilier, ancré au large!

Le doute est quand même installé, malgré l’attrait du cocooning, ancré bien au chaud devant le portable. «Pour assurer mon bien-être financier, une fois à la retraite, j’aurai besoin de combien d’argent?». Le genre de question que ce bon vieux William ne s’est jamais posée avant de s’éteindre. Parce qu’Anna une fois partie, il ne lui restait plus rien auquel s’accrocher. La vie avait perdu tout son sens.

Je n’aurais pas pu les imaginer tous les deux piger dans leur petit bas de laine, s’offrir un tour du monde, s’embarquer pour une croisière ou déménager en ville pour se la couler douce, maintenant que les enfants, du moins ceux qui n’étaient pas morts en bas âge, comme Philippe et Thérèse, tous les deux d’une santé fragile, avaient quitté la maison pour fonder leur propre foyer, partir en religion ou devenir domestiques pour les familles plus aisées. Pas sûr non plus qu’ils auraient aimé l’idée de se payer un voilier.

Mais t’as beau essayer de le fuir en plongeant dans tes souvenirs d’enfant, le même message revient toujours te hanter, dans des mots hyper compliqués, où il est question de «flux de revenu», de «flux de consommation», de «revenu potentiel» et «exponentiel», d’abris fiscaux, d’hypothèques inversées…

À l’automne de la vie, je commence à envier le grand-père. Jusqu’à son dernier souffle, il aura vécu chez lui, dans sa petite maison modeste mais ô combien belle, parce qu’il avait dû la construire de ses propres mains. Lui pis sa vieille n’ont pas fini leurs vieux jours alités dans un hôpital, ni dans le deux pièces et demi d’une résidence pour personnes âgées à attendre la visite qui ne viendra pas. Ni aujourd’hui, ni demain, parce que tout le monde de ta lignée est trop occupé.

Je me fais une autre idée de l’avenir qui m’attend quand je devrai arrêter de travailler. Rebelle dans l’âme, j’irai pas faire la file pour qu’on m’explique la meilleure façon de ne plus payer d’impôt, moi qui ai payé ma part toute ma vie comme un mouton que l’on tond à la fin de la saison. Non, je cours rejoindre les rangs des indignés. Je planterai ma tente comme un nomade au cœur d’une cité. Et quand on viendra essayer de m’en déloger, j’affronterai les matraques et les guns à gaz! On me jettera en prison. J’insisterai pour y rester… «Oui, Monsieur le juge, je suis un danger pour la société!» Il me condamnera à trois repas par jour, électricité, eau chaude fournie, possibilité de suivre des cours à l’université de la vie, sans avoir à débourser des frais de scolarité en hausse, vêtu, lavé, gymnase à volonté et possiblement la télé. Mon chèque de vieillesse déposé directement dans le compte à la caisse fera des petits, des revenus «exponentiels» sans compter tous les trucs qu’on voudra bien m’enseigner. Je pilerai et pilerai comme jamais auparavant. J’étudierai le droit ou la finance. M’impliquerai dans ma communauté carcérale. Je fonderai une petite coopérative subventionnée aux frais de l’État. Je demanderai un congé juste avant les élections. Je me présenterai candidat dans mon comté et croiserai les doigts avec l’espoir qu’on me choisisse comme député. Une fois à l’intérieur du système, je ne changerai… rien! Parce que le système, quand c’est toi qui est aux commandes, ça change les perspectives!

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