Le clou symbolique

Dans La Presse du 3 juin dernier, le ministre des Transports, M. Garneau, faisait allusion à un clou de chemin de fer que je lui avais remis lors de son passage à Lac-Mégantic. Je suis touché qu’il ne soit pas insensible à sa valeur symbolique bien que j’ignore le sens exact qu’il lui confère. Cependant, je puis préciser la valeur que je lui ai donnée lorsque je le lui ai offert.

J’ai pris la peine de lui rappeler que ce clou avait d’abord été un outil de fierté, parce que notre petite ville s’était construite autour du chemin de fer au moment où on y transportait du blé, du bois et des passagers. Songez qu’à peu près tous les immigrants qui débarquaient à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, passaient par Lac-Mégantic pour se rendre à Montréal ou même à Toronto. Depuis le 6 juillet fatidique, il représente désormais la destruction, le clou de notre crucifixion sur l’autel de l’or noir. J’ai souhaité alors que le ministre nous aide à l’arracher du cœur de la ville.

En ce qui concerne Lac-Mégantic, j’ai aussi précisé que se limiter au seul élément sécuritaire, c’était demander à une enfant défigurée par un pitbull d’aller promener le chien maudit. «Ne t’en fais pas, petite, on lui a installé une muselière: tu n’as qu’à le tenir en laisse.» Le pitbull, comme l’économie, étant plus puissant que l’enfant, je vous laisse deviner la suite des choses et l’état d’esprit de la victime. Bien que nécessaire, le volet sécuritaire ne suffit pas parce que le rapport de confiance est irrémédiablement cassé. N’oublions pas que le 5 juillet, la voie et les opérations ferroviaires étaient jugées sécuritaires sinon, on aurait agi pour éviter le pire. N’oublions pas aussi que les déraillements et les convois à la dérive continuent de survenir au moment où chacun montre patte blanche et se dit vigilant.

L’étude pour une voie de contournement est en cours, mais sa réalisation n’est pas prévisible avant 2022. Si la santé de la population était une réelle préoccupation, on accélèrerait le processus. Entre 1900 et 1915, on a construit, au Canada, 17 000 milles (environ 27 000 km) de voies ferrées. Ici, on prendra dix ans à en créer une de 9 km. On se croirait parqués dans la salle d’attente d’une de nos urgences.

La situation est d’autant plus aberrante que les élus méganticois –en même temps qu’ils réclament une voie de contournement- travaillent à un projet de passerelle touristique qui enjamberait la voie ferrée du malheur. Peut-on être plus confus et indifférents au drame collectif? Dans les deux cas, on demandera des subventions aux mêmes gouvernements, comme les politiciens se perçoivent souvent comme des comptables, il y a fort à parier qu’ils choisiront le projet le moins cher. Les gouvernements ne peuvent pas tout donner à Lac-Mégantic parce qu’elle est une victime, c’est à nous de choisir «notre priorité» selon «nos» valeurs.

J’ai profité de l’occasion pour inviter le ministre à considérer l’aide humanitaire pour l’aménagement de la voie de contournement. La suggestion vient d’un ancien ministre fédéral, décédé peu après les événements de Lac-Mégantic. Cela éviterait de grever le budget du ministère des Transports. Il n’y aurait pas de scandale à aller chercher 3 ou 4% du montant que le Canada a promis à l’ONU d’investir dans ce fonds (environ 4 milliards), à moins qu’on ne considère pas les Canadiens –les Méganticois et les citoyens de Fort McMurray- comme des humains. Il n’y aurait pas de scandale à le faire quand on constate comment se dépense l’aide humanitaire; il s’agit souvent de placements géostratégiques, parfois de gaspillage ou de détournement de fonds orchestrés par des gens sans scrupules. L’argent ne se rend pas toujours à ceux qui en auraient besoin. La proposition de M. Marcel Masse, politicien respecté, mériterait qu’on y réfléchisse.

Paul Dostie
Lac-Mégantic

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