Des militants pour la sécurité ferroviaire, dont, à l’avant-plan l’auteure Anne-Marie Saint-Cerny se préparent à déposer des fleurs sauvages sur la voie du CP, au centre-ville.
Le ministre fédéral des Transports Omar Alghabra encerclé par les représentants des médias à son arrivée à l’église Sainte-Agnès.
Sous une lune presque pleine, presque rouge, près de 200 personnes ont pris part à la marche silencieuse.
Le passage à Lac-Mégantic des premiers ministres Justin Trudeau et François Legault pour la messe commémorant le dixième anniversaire de la tragédie ferroviaire, le 6 juillet, a fourni à la classe politique l’occasion de s’adresser à un parterre de représentants des médias nationaux et internationaux, agglutinés sur le parvis de l’église Ste-Agnès, pour honorer la mémoire des 47 victimes et rappeler l’importance de «la solidarité, de la sécurité et du respect mutuel».
«Au nom de la nation québécoise, je veux rendre hommage à tous les disparus, aux Méganticois qui se sont relevés après cette tragédie et à tous ceux qui les ont appuyés à la suite de ce drame. Je veux aussi souligner les efforts exceptionnels de la population et des gouvernements du Québec et du Canada pour rebâtir Lac-Mégantic», a livré le premier ministre du Québec, qui était accompagné de la vice-première ministre et ministre des Transports Geneviève Guilbault, et deux de ses collègues, Andrée Laforest, la ministre des Affaires municipales, et François Bonnardel, ministre de la Sécurité publique et ministre responsable de la région de l’Estrie.
«Cette nuit sombre et dévastatrice restera à jamais gravée dans nos mémoires, a souligné le député de Mégantic, François Jacques. Aujourd’hui, je souhaite exprimer ma profonde gratitude à tous ceux qui nous ont soutenus et aidés : votre compassion et votre dévouement sont source d’inspiration. Que les souvenirs de cette nuit nous guident dans notre quête de justice et de réconciliation. À la mémoire des victimes, nous poursuivons notre engagement à construire un avenir meilleur pour tous les citoyens.»
Justin Trudeau était accompagné du ministre des Transports Omar Alghabra. Avant de gravir les marches conduisant à l’intérieur de l’église, l’un comme l’autre se sont présentés devant les micros et les caméras de télé. Au centre des échanges, la voie de contournement ferroviaire. «Il faut aller de l’avant», a lancé le premier ministre du Canada, assurant que le projet de voie de contournement commencera à être construit à l’automne. «Je comprends qu’il y a des agriculteurs qui sont préoccupés par la perte de certains terrains, mais pour moi, ce n’est même pas une question qui se pose», a-t-il livré en entrevue à La Presse.
Quant à lui, le ministre des Transports Omar Alghabra en était à son premier bain de journalistes au cœur de Mégantic, après des visites très ciblées depuis sa nomination à ce poste auparavant occupé par Marc Garneau. Il a répété que la voie de contournement était «dans le meilleur intérêt de tout le monde», tout en disant comprendre les inquiétudes soulevées par le tracé retenu. «C’est une question compliquée», a-t-il ajouté.
Parmi les personnalités présentes, l’ancien député de Mégantic-L’Érable Christian Paradis, qui était, à l’époque, ministre de l’Industrie, muté neuf jours après la tragédie au poste de ministre de la Francophonie.
Insécurité ferroviaire en toile de fond
Dans les heures suivant la tragédie de Lac-Mégantic en 2013, le militant environnementaliste Daniel Green chaussait ses bottes et parcourait les berges de la rivière Chaudière à la recherche d’échantillons parmi les nappes huileuses flottant à la dérive, direction la Beauce et le fleuve Saint-Laurent. Et parfois même en habit de plongée dans le lac face au parc des Vétérans, pourchassé non pas par des requins, mais par des agents de sécurité interdisant la zone rouge à tout civil non autorisé.
Dix ans plus tard, quel bilan en fait-il? «Au niveau de la perception du risque dans la population générale, oui, on a avancé. Les gens demandent plus de sécurité ferroviaire, est-ce qu’ils l’ont eue? Non. Les gens voient les trains passer avec les wagons, c’est suspect; ils ont peur. Ils ont raison d’avoir peur. Il suffit de regarder un peu ce qui se passe, au niveau des profits, avec une approche axée sur le fait de travailler plus rapidement et plus longtemps. On le voit, les actionnaires sont contents, le peuple a peur et le gouvernement semble incapable d’amener les compagnies ferroviaires à être plus sécuritaires parce que, pour eux, c’est les revenus, c’est les actionnaires qui priment.»
Sur la pelouse, près de la voie ferrée, les cloches terminent les 47 coups en hommage aux 47 victimes de la tragédie. Les deux premiers ministres Trudeau et Legault avec chacun leur cortège quittent le site et regagnent leurs voitures. Daniel Green poursuit : «Le ministre des Transports aura beau augmenter à 100 000 inspecteurs, mais si les accidents continuent à arriver, on n’augmente pas le sentiment de sécurité. Même à Montréal, moi je vois des trains de pétrole stationnés dans des viaducs où une auto qui fait une mauvaise manœuvre peut entrer direct dans le wagon. Alors, on ne peut pas comprendre pourquoi c’est tolérable ça! C’est pas comprenable parce que ça n’a aucun sens. Moi-même, j’ai vu un accident ferroviaire à Pointe-Saint-Charles. J’étais sur les rails en train d’échantillonner le pétrole qui s’écoulait, et puis, je me suis fait arrêter et j’ai payé 100$ d’amende. Autrement dit: les gens qui font de la surveillance, qui documentent les accidents, eux sont punis et les compagnies ferroviaires sont récompensées. Donc, le bilan, on est encore dans une situation d’insécurité ferroviaire!»
Marche silencieuse
Dix ans plus tard, même jour, même heure, même chaleur en ce début de nuit du 6 juillet où l’église Sainte-Agnès accueille les gens venus participer à une marche silencieuse qui mènera le cortège dans le centre-ville. Sous une lune presque pleine, presque rouge, près de 200 personnes suivent comme en procession dans les traces de l’abbé Garrick Huang, escorté de Colette Roy Laroche et de Julie Morin. Une atmosphère de recueillement qui prend tout son sens à la première halte, dans l’Espace mémoire où seront lus des messages d’espérance inscrits sur les pierres.
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