Montana, comme l’État!

Aujourd’hui c’est dimanche, non, samedi! En fait, je ne sais plus. Le calendrier s’est décroché du mur un 6 juillet et s’est brisé en morceaux. Aujourd’hui, donc, Monseigneur Luc Cyr préside la messe commémorative en hommage aux victimes de la tragédie de Lac-Mégantic. Une église de 1000 places assises pleine à craquer, des mégatonnes d’émotions à ravaler, même à l’extérieur, rue Laval, où la foule s’est serrée, épaule contre épaule. Des gens amochés, solides; une foule bigarrée, au cœur de laquelle les «locaux» sont surpris de voir autant de visages qui leur sont familiers. On se croirait sur la rue Saint-Jean, en plein festival! Mais sans musique, que du recueillement. On se croirait à Sainte-Anne-de-Beaupré, le jour de la fête de Sainte-Anne, mais sans les caravanes parquées face à la cathédrale. Ici, des milliers de personnes veulent pouvoir dire un jour: «J’y étais!»

L’atmosphère a quelque chose d’un Woodstock sans le rock. Un musicien noir jouant de la trompette devant la caméra d’une station anglophone. Une dame avec son drôle de chapeau, brandissant un carré de tissu sur lequel les drapeaux canadien et américain sont fusionnés. Une femme enceinte porte le germe d’un avenir qu’on souhaite prometteur, plus… sécuritaire! Une nouvelle population se prépare.

Et moi, la main sur le cellulaire, j’attends le signal de Montana, oui «Montana, comme l’État» qu’elle m’avait dit, la veille.

Même dans la rue, plusieurs se sont endimanchés. Contraste frappant avec cette nuit d’horreur où les résidants ont dû fuir les flammes de l’enfer, certains en jaquettes, pas de bas! Aujourd’hui, des filles chromées au bras de travailleurs habillés propre, signe qu’un semblant de vie normale succèdera au deuil.

Aujourd’hui, la ville a soudain grossi. Mais rien pour remplacer les 47 vies envolées en fumée, creusant un vide encore plus profond que cette fissure traversant le centre-ville d’est en ouest.

Tellement de monde, que certains politiciens passent inaperçus. Lui, là-bas, c’est Daniel Paillé du Bloc québécois avec un parapluie à la main. Plus tôt, on a vu Thomas Mulcair du NPD et Justin Trudeau, le chef des libéraux. Des gens qui, d’habitude, auraient attiré toute l’attention sur eux. Aujourd’hui, ils circulent parmi les badauds. Ils n’entreront pas tous à l’église pour prier, reluquant tantôt une caméra, tantôt un appareil photo, espérant pour quelques secondes faire partie du spectacle médiatique. Parmi le monde ordinaire, épié par les caméras de télé. Radio-Canada et RDI occupent le balcon, au-dessus de L’Exotic! TVA s’est aménagé un enclos sur la pelouse face à l’église, sous la protection du Sacré-Cœur. Une rue, un fossé continuent de les séparer ces deux-là, avec chacun leur façon bien à eux de couvrir l’actualité.

Aujourd’hui, ces visiteurs qui affluent de partout, à travers les rues déjà congestionnées, sont Méganticois par solidarité. Pas de fédéralistes ni de souverainistes, non plus! Ils auront tout le temps, après, de retourner à leurs éternelles chicanes. Pour l’instant, ils sont tous unis pour Lac-Mégantic. Pour l’instant, du moins… Demain, on verra.

Quand Colette Roy Laroche a monté les marches du parvis de l’église, la foule l’a spontanément applaudie. Dans l’ombre de la grande Colette, Pauline Marois et Stephen Harper ont aussi salué la foule. Comme pour essayer de saisir au vol un peu de cet amour dirigé droit vers la mairesse. Et tout de suite après, nouvelle salve d’applaudissements quand Denis Lauzon et son équipe de pompiers se sont dirigés à leur tour vers la grande porte, accueillis par l’évêque.

Et la cérémonie commence. Elle sera à la hauteur des gens d’ici, d’une telle dignité dans la simplicité !

Le cellulaire se remet à sonner. C’est Montana. «Cherchez Benoît Richard sur la ligne bleue! Il va vous laisser passer!» Le téléphone de M. Richard sonne à l’instant. Je l’entends discuter en anglais. Normal, puisque Montana «comme l’État» travaille à Ottawa! Femme d’influence dans le cabinet du «primer»? Non, mais c’est tout comme! Elle fait partie de la probable vingtaine de personnes qui ont voyagé dans le sillage de Stephen Harper pour ces quelques heures en sol méganticois. Dont une demi-douzaine d’agents de sécurité constamment aux aguets.

Aujourd’hui et demain, Montana ne sera jamais aussi influente que Colette qui a désormais une ligne directe avec la première ministre du Québec.

J’avais une question pour Stephen Harper, je l’ai un peu «moppée»! «Dans le Ô Canada, il est écrit…«Et ta valeur de foi trempée, protégera nos foyers et nos droits!» Qu’est-ce que vous pouvez dire pour rassurer Félix, 3 ans, qui est resté depuis cette nuit-là avec cette image d’un «gros feu de camp avec beaucoup de bruit» et qui ne cesse deréclamer: «Quand est-ce qu’on retourne à la maison?». Votre gouvernement va-t-il tout faire pour protéger son foyer et ses droits?» Pas juste les pétrolières et les compagnies de chemin de fer !