Il aura fallu quatorze mois pour que l’évidence me saute aux yeux. Semaine après semaine, je surveillais les chiffres sur les tableaux de la Santé publique, obsédé par les statistiques, les algorithmes, la couleur de la zone, le palier d’alerte de la région, l’escalade des morts, celle des cas testés positifs. Plus ou moins traumatisé par ces décisions politiques influencées par la situation épidémiologique, les annonces solennelles des docs Harruda et Poirier, les ordres de confinement de François Legault et l’inimaginable couvre-feu de Geneviève Guilbault.
J’évitais la confrontation avec les complotistes, les conspirationnistes, les disciples de l’apocalypse et les croyants de tout acabit! Que la terre est plate, que le vaccin cache une puce 5G et que Donald Trump, finalement, est peut-être malgré tout un être intelligent!
Hypnotisés par ce satané virus, on l’a presque tous été. Submergés par la première vague au printemps, la deuxième vague à l’automne et une troisième vague au cœur de l’hiver, bousculés par les consignes sanitaires érigées en décret de la loi et de l’ordre, c’est un peu ce qu’on vit depuis l’arrivée d’un nouveau monde en mal d’équilibre.
On a tous l’épiderme sensible. Le jour où François Legault nous a sorti comme un lapin de son chapeau son fameux «contrat moral», l’automne dernier, on s’y est tous, plus ou moins, plié, en essayant d’y croire. En substances, le premier ministre demandait un effort pour, à la fin d’un confinement de trois semaines, ou était-ce quatre, pouvoir permettre les rassemblements en famille pour la période de Noël. Noël s’est fêté finalement dans la schnoutte.
Alors, quand la MRC du Granit a été peinturée rouge foncé, le 9 mai, qu’on s’est tous retrouvés avec un bonnet d’âne, parce que «il y a des gens quelque part qui n’ont pas respecté les consignes», a tenu à souligner le PM, qu’on a été largués par l’Estrie parce qu’on était devenus gênants, la moutarde, d’habitude jaune devenue rouge foncé, m’est montée au nez! Solidarité mon œil!
Oui, on a perdu le rouge foncé depuis lundi. Oui, on a vu un début de déconfinement, mais on reste encore les parias aux yeux du reste de l’Estrie qui nous surveille du coin de l’œil avec un regard de méfiance.
Ce qui saute aux yeux, quatorze mois après l’attaque massive du coronavirus, c’est que le plan de match des autorités n’arrête pas d’avoir des ratés, d’être modifié à la petite semaine… d’être même remis en question par des élus d’ailleurs, en Estrie. Et quand une vague arrive, quand les couleurs changent au pire, c’est notre faute, toujours notre faute, bien sûr.
À l’ouest et au centre, les pressions du milieu ont pris une teinte politiques. Des préfets et des maires sont sortis de leur réserve, il y a quelques jours, en réclamant un retour rapide en zone orange, suppliant le gouvernement Legault de «reconnaître les efforts accrus de la population» pour un retour rapide en zone orange dans certaines sous-régions… à l’exception, bien sûr, de la MRC du Granit. À la MRC de La Haute-Yamaska, à Sherbrooke, dans Brome-Missisquoi, les élus ont tiré la clochette pour un retour à la vie normale… chez eux! Ils l’auront l’orange, dès le 31 mai. Nous, ce sera une semaine après, peut-être si on redevient sages! Les mesures spéciales d’urgence ne nous collent plus au c… mais, on reste le cas d’exception, les moutons noirs, les derniers de classe.
Les chiffres parlent pour eux, nos voisins estriens! «Depuis une semaine, le nombre de nouveaux cas quotidiens dans les réseaux locaux de la santé de la Pommeraie et de la Haute-Yamaska sont quasi nuls ou se situent sous la barre des cinq cas. Le nombre total de nouveaux cas dénombrés en Estrie est lui aussi en constante diminution avec, à l’exception de la MRC du Granit qui vit une situation particulière, une moyenne mobile sur sept jours de cinq cas par 100 000 habitants.»
Là -bas, les élus ont exprimé leur ras-le-bol. Le maire de Sherbrooke, Steve Lussier, plaidait le retour à l’orange «pour protéger nos propriétaires commerçants et restaurateurs, qui font les frais des nombreuses fermetures et réouvertures depuis le début de la crise. Nos restauratrices et restaurateurs ont fait preuve d’une rigueur exceptionnelle pour se plier aux normes sanitaires en vigueur. Malgré tout, en 14 mois, il s’agit de la troisième fois qu’on leur impose une fermeture temporaire et indéterminée. En égard à tous leurs efforts, je prône en faveur de la réouverture des restaurants afin que propriétaires et employés cessent d’en payer la note.» Juste nous autres, les élèves indisciplinés, qui doivent continuer de la payer, ça a ben l’air!
Le maire de Bromont, Louis Villeneuve, militait aussi en faveur de l’économie locale: «Je me suis toujours fait un devoir de faire respecter les consignes de la Direction de la santé publique et ça ne changera pas. Cependant, nos restaurateurs et nos commerçants ont déboursé de grandes sommes pour mettre en place une foule de mesures sanitaires qui permettent à tous de profiter de leurs installations de façon sécuritaire. Considérant que la plupart des cas de contamination se produisent dans nos chaumières et que le nombre de nouveaux cas des derniers jours est très faible, je demande à ce que l’on préserve notre économie locale.»
Ça a ben l’air que notre population et nos commerçants aussi auraient mérité la récréation. La libération de cette discrimination, dont certains médias usent et abusent en nous montrant du doigt, parce que ça fait vendre la copie et la cote d’écoute!
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