Jeune retraité, j’ai entendu la voix. Non ce n’était pas l’appel divin vers une vocation tardive ni la sollicitation insistante et désespérée du premier ministre pour un retour au travail. C’était ma blonde qui avait un criant besoin d’aide. Mon empressement à offrir mes services l’a convaincue de me donner un emploi. «Tout ce que t’auras à faire, c’est de pas trop t’éloigner et de m’aider au besoin. Donc d’être proche et aidant.»
Travail à domicile. Situation rêvée. Ta patronne, c’est ta femme. Une seule contrainte: ne jamais dire aux autres que tu as couché avec la patronne, on pourrait croire que tu profites d’avantages liés aux faveurs consenties antérieurement même si cela remonte à il y a longtemps…longtemps…longtemps… Excusez, moment de nostalgie. Tu conserves tes revenus actuels sans suppléments. Mais pas de coupures de traitement, ouf!
Job à temps plein qui occupe plein de mon temps. L’horaire, sans doute pour alléger les journées, se répartit sur les sept jours de la semaine. J’aurais préféré de loin un temps partiel. Cependant dans cette catégorie d’emploi, c’est tout ou rien. Alors, plutôt que de se retrouver devant le néant, on accepte tout, c’est pas rien, croyez-moi.
Tu seras appuyé par une main-d’œuvre majoritairement féminine salutaire et salvatrice qui va se relayer pour des bains, des levers, des couchers, de l’aide au ménage et aux repas quelques heures durant la semaine. Tout ce monde va former un « team » essentiel, mais va aussi briser ton «inteamité».
Tu fais à peu près tout. « Il faut que je fasse ça aussi? Ben là , j’aurais jamais imaginé me rendre jusque là . Ouain. Ok. Puisqu’il le faut, allons-y. Tab….k!» Tu apprends sur le tas, aucune formation, aucune préparation mentale.
Quand les louves ASSS (auxiliaires aux services de santé et sociaux) débarquent, tu en profites pour faire de la proche aidance buissonnière. Sortir, marcher, aller au gym, à l’épicerie, à la pharmacie, à la Régie (pour la rime). Le reste du temps, et il en reste beaucoup, si tu veux sortir pour aller au cinéma ou à un spectacle, tu dois planifier, te trouver un remplaçant. C’est beaucoup plus difficile à trouver qu’une gardienne d’enfants. Pas de place pour l’improvisation. De toute manière, ce n’était pas ma force, je préférais le théâtre.
Le contrat de travail te permet quelques semaines de vacances appelées répit à la condition qu’une maison accepte de prendre en charge la personne aidée. Résultat: pas de vacances. Personne ne veut s’occuper de malades avec des troubles importants de mobilité. Si vous devez tomber malade un jour, choisissez bien votre maladie, sinon… Pourtant on encourage le maintien à domicile et on glorifie les proches aidants, sans les supporter. Ma mère me disait, à l’occasion, que j’étais insupportable. Elle avait bien raison.
J’ai finalement trouvé une maison de répit. Ça s’appelle RIP. Je sais, il y a eu inversion de lettres, mais je leur dirai rendu là . La loi 101 les oblige à s’afficher en français, il faut les pardonner. Autre déception, ils se spécialisent dans les répits de longue durée seulement. Genre d’endroit où tu entres qui nécessite une éternité pour t’en sortir.
Actuellement je ne vois pas la lumière au bout du tunnel, mais plus le papier au bout du rouleau.
Heureusement la maladie de mon épouse (sclérose en plaques primaire progressive) offre un avantage. Comme elle est progressive et qu’elle évolue lentement, tu t’habitues à faire de plus en plus de tâches sans vraiment t’en apercevoir. C’est bien fait quand même.
Cette semaine, c’est la semaine des proches aidants. Je vais fêter ça, mais pas trop. S’il arrivait quelque chose, je pourrais être accusé de négligence.
Guy Dostie
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