Le maire de Frontenac, Gaby Gendron.
À droite, Yolande Boulanger en conversation avec l’enquêteure Me Julie Banville et à sa gauche, son assistante Me Andréanne Nadeau.
Le président de l’UPA de l’Estrie Michel Brien et le président du Syndicat des producteurs forestiers du Sud du Québec André Roy.
Me Julie Banville, avocate en droits immobiliers, a été nommée enquêteure, mandatée le 24 avril 2023 par le ministre de la Justice et procureur général du Canada, David Lametti, pour tenir une audience publique et entendre les 1 482 personnes qui ont signé leur opposition à l’avis d’intention d’expropriation en lien avec le projet de voie de contournement. Me Banville a expliqué en ouverture d’audience, le jeudi 4 mai, à la salle de l’hôtel de ville de Frontenac, qu’elle avait 30 jours pour remettre son rapport, à compter de la date de sa nomination. Les délais sont très serrés, a-t-elle reconnu. «Je suis là pour écouter tous ceux qui veulent prendre la parole», a-t-elle lancé.
La veille, en compagnie des avocats Frédéric Paré, Jean-Claude Boutin et Daniel Larochelle et accompagnée de son assistante Me Andréanne Nadeau, elle a marché les terrains de quelques-uns des propriétaires de terrains visés par l’expropriation, «un bon 7, 8 kilomètres», a-t-elle estimé.
Face à la capacité logistique et à des ressources financières jugées «pharaoniques», des centaines de millions de dollars d’argent entièrement public (60% des contribuables canadiens et 40% du Québec), les opposants aux avis d’expropriation défendent les écosystèmes menacés, notamment la destruction de dizaines d’hectares de milieux humides et la mise en danger de la nappe phréatique.
Estimant que «l’avis d’expropriation visant 33 propriétaires forestiers et agricoles de Lac-Mégantic et de Frontenac qu’ils représentent est «prématuré et qu’il s’agit davantage d’un geste politique à l’approche du 10e anniversaire de la tragédie de Lac-Mégantic», d’une même voix le président de la Fédération de l’UPA Estrie, Michel Brien, et le président du Syndicat des producteurs forestiers du Sud du Québec, André Roy, ont estimé que «le fédéral doit annuler ce projet et préférer sécuriser les populations et les approvisionnements partout au Canada.»
Sinon, à tout le moins une révision des mesures d’atténuation de la ligne de chemin de fer proposée et une suite à donner à la demande d’évaluation d’impact déposée le 6 mars dernier par la Coalition des victimes collatérales de la voie de contournement au ministre de l’Environnement et du changement climatique du Canada, Steven Guilbeault.
«Le rapport du BAPE de 2019 est désuet et a été rendu alors que le projet était préliminaire, que ses impacts environnementaux n’étaient pas connus et que l’emprise nécessaire au projet n’était pas finale. Dans toutes ses communications, Transports Canada réfère toujours au BAPE de 2019. Notre organisation considère qu’il n’y a pas eu de BAPE sur le projet de contournement actuel. Par exemple, la tranchée de 28 mètres de profondeur à cheval sur les municipalités de Lac-Mégantic et Frontenac ne faisait pas partie des données étudiées en 2019. C’est un fait nouveau dont l’impact n’a pas été analysé par le BAPE», écrivent-ils dans le document remis à l’enquêteure, vendredi en après-midi.
Dans leur plaidoyer commun, les deux grands syndicats sont revenus sur la largeur de l’emprise demandée par la compagnie de chemin de fer Centre du Maine et du Québec, filiale du Canadien Pacifique. «Seulement dans la zone agricole, l’emprise a augmenté de 60% entre 2019 et 2022. En 2020, lors de la première demande d’autorisation à la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ), on parlait d’une superficie de 68,9 hectares en zone agricole. Dans la deuxième demande, en 2021, on demande une autorisation pour 41,17 hectares additionnels.»
Messieurs Brien et Roy ne sont pas tendres envers le gouvernement du Québec. «Nous considérons que le gouvernement du Québec a abandonné au fédéral la question des préoccupations environnementales dans ce dossier et nous croyons à la pertinence d’effectuer une étude sérieuse et objective.»
L’eau demeure au cœur des inquiétudes et des préoccupations aux yeux des opposants aux avis d’intention d’exproprier les terrains sur le passage de la future voie de contournement ferroviaire. L’eau potable des puits de surface et des puits municipaux de Lac-Mégantic, de même que la presque centaine d’hectares de milieux humides qui agissent comme filtre qui risquent d’être détruits. Sans compter l’impact sur la nappe phréatique et la rivière Chaudière au moment d’exécuter les travaux d’excavation à Frontenac. «Le rapport hydrologique estime à 5 millions de litres le volume d’eau qui sera capté en surface… L’impact se fera également sentir pour les érablières et les peuplements forestiers situés en amont de la voie de contournement.»
En raison des coûts jugés «pharaoniques» de la construction du tracé proposé et du pont qui sera construit à grands frais au-dessus de la rivière Chaudière, UPA et Syndicats des Producteurs forestiers sont revenus à la charge avec l’option d’une demi-voie, déjà rejetée par Transports Canada, qui aurait comme avantage d’obtenir selon eux l’acceptabilité sociale, qui n’est pas au rendez-vous, souligne-t-on. Ils soulignent également que les expropriations nécessaires au projet de voie de voie de contournement ferroviaire n’ont pas de fins d’utilité publique. «L’objectif principal (du projet) était d’améliorer la sécurité ferroviaire. C’est aujourd’hui fait puisque le triage ne se fait plus à Nantes, donc les trains ne sont plus stationnés en haut d’une pente.»
La question s’adressant aux élus tant fédéraux que provinciaux: «Pourquoi nos gouvernements se sont-ils compromis à livrer sans contrepartie une autoroute ferroviaire flambant neuve à une compagnie dont la valeur en bourse dépasse les cent milliards de dollars?»
Le maire de Frontenac, Gaby Gendron, s’est montré à la hauteur dans son rôle d’hôte des audiences publiques. Sa municipalité de 1786 habitants a pour maxime L’environnement que je choisis. «Ici, les gens sont fiers», a-t-il exprimé à l’enquêteure, l’invitant même à profiter du weekend pour faire le tour de sa municipalité. Il a ensuite laissé échapper les émotions, rappelant que dans la tragédie de 2013, la municipalité de Frontenac avait perdu une employée, la responsable de la bibliothèque Joannie Turmel. Court moment de silence, la voix nouée par l’émotion, avant de poursuivre: «Ces terres je les ai marchées en couche, avec des bottes à tuyaux.» Ses craintes: la destruction des milieux humides et l’impact de l’excavation de la tranchée. «Lors du dénoyage, plus de 5000 mètres cubes d’eau par jour par 100 mètres d’excavation sera canalisé directement dans la rivière Chaudière. Selon les experts de Transports Canada, il y aura une possibilité de contamination ou d’assèchement de plus ou moins 138 puits d’eau potable lors de l’affaissement de la nappe phréatique, À Frontenac, la totalité des citoyens de Frontenac ont des puits d’eau potable.» Sans compter la diminution des valeurs foncières des propriétés situées à proximité de la future voie ferrée. Des revenus de taxes qui ne seront jamais compensés.
Faisant mention des inondations récentes qu’ont connues certaines régions du Québec, notamment à Baie-Saint-Paul, où la crue printanière soudaine a détruit des infrastructures, notamment des ponts et ponceaux, Gaby Gendron a insisté sur le rôle joué par les milieux humides et l’importance de les conserver. «Les milieux humides sont un énorme filtreur naturel. Quand il y a des pluies diluviennes, ils servent de réservoir tampon qui empêchent l’écoulement d’eau plus sale directement vers les rivières. Le 9 août 2022, nous avons dû faire face à d’importantes inondations et des dégâts causés par l’eau. Ça nous a coûté 240 000$ pour effectuer les travaux de réfection en urgence et 300 000$ sont prévus pour continuer ces travaux de réfection sur certaines routes. Si ces milieux humides qui retiennent l’eau ne sont plus là, où s’en ira toute cette eau si plus rien ne la retient?» Avec les changements climatiques, les épisodes de fortes pluies risquent de survenir plus souvent. «Selon nos ingénieurs, qui voient sur 100 ans, nos ponceaux de 48 pouces, doivent être remplacés à l’avenir par des ponceaux de 7 pieds qui coûtent chacun 187 000$.»
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