Une fumée blanche

La paroisse de Piopolis demeure fidèle à ses traditions. Y a-t-il un seul autre endroit dans la MRC du Granit où les cloches de l’église sonnent chaque heure de la journée? Pour certains résidants, la fréquence peut devenir agaçante, une source de malaise ou d’inconfort, alors que pour d’autres, les plus «natifs», le gong céleste rappelle la pendule de la grande horloge murale accrochée dans la cuisine pas loin du crucifix, souvenir de cette époque où elle était seule à marquer le temps. C’était bien avant l’arrivée de la télé.

Dans la «ville du pape», le clocher de l’église ne sert pas uniquement d’horloge, c’est aussi de là-haut que retentit l’alarme pour le rassemblement des pompiers volontaires quand survient un incendie. Comme ce fut le cas le mardi 12 mars, quand de la fumée noire s’est échappée d’une cabane à sucre du rang de La Savane.

À l’heure de la montre intelligente, l’iWatch d’Apple ou sa future concurrente Galaxy Altius de Samsung, c’est rassurant de savoir que les cloches de l’église demeurent un outil de communication de masse encore puissant, dans ce village plus-que-centenaire défriché par des zouaves pontificaux.

Donc, le lendemain en début d’après-midi, quand les cloches se sont livrées à une autre envolée, à mi-chemin entre 13h00 et 14h00, plusieurs citoyens du village ont cru que les flammes de l’enfer s’attaquaient à un autre bâtiment de la communauté. «Ben voyons, c’est qui le pas-chanceux, cette fois?» En réalité, il y avait bien de la fumée quelque part à l’horizon, blanche celle-là, mais si lointaine que ce sont les médias traditionnels et les réseaux sociaux qui l’ont signalée en premiers. Habemus papam! Et comme l’église catholique vivait un moment unique avec ce changement de garde, les cloches des églises du monde entier, du moins celles encore ouvertes, se sont mises à carillonner en même temps, comme le veut la tradition.

Un nouveau pape, c’est pas rien! De mon enfance, je me rappelle le soulagement que la nouvelle avait suscité quand ma mère, fervente catholique et Dame de Sainte-Anne, avait remplacé l’image plutôt sévère de Pie XII par celle de Jean XXIII. Angelo Roncalli avait cet air bon enfant, un peu poupon, qui contrastait avec celui de son prédécesseur, l’homme aux lunettes cerclées d’argent, un peu comme celles que portait ma grand-mère. Le look John Lennon avant son temps! Angelo Roncalli a «pontifié» si longtemps qu’on l’aurait cru éternel. Angelo Roncalli, c’était amusant à prononcer comme nom. J’appelais mon père «Alfredo Roncalli», en insistant sur le Roncaaaaalli! On l’aurait enduré très longtemps Jean XXIII. Il apportait quelque chose de neuf, en 58. Une petite révolution après les années noires du «hors de l’Église point de salut!» On sentait le changement qui s’amenait. Cinquante-cinq ans plus tard, on se méfie du changement de garde sur le trône de Saint-Pierre. L’Église «peut»-elle changer? Peut-elle abandonner tout ce lustre des robes rouges pour revenir aux valeurs de base du catholicisme? Dès les premières heures de son pontificat, le Pape François s’est efforcé de tracer une ligne entre le faste d’hier et une nouvelle «humilité» qu’il souhaite installer dans son Église, un peu comme un nouveau président-directeur général qui accèderait à la plus haute fonction décisionnelle d’un empire, pas seulement spirituel mais également très matériel, qui s’étend sur tous les continents.

Le Vatican va se retrouver sous haute surveillance. L’Église catholique ne pourra pas ignorer encore longtemps ce mouvement de libération qui a gagné, ces dernières années, les États les plus réfractaires de la planète. Décriée comme une très ancienne institution qui traîne derrière elle des siècles d’excès au nom d’un dogme qui se résumait au «crois ou meurs», l’Église a besoin d’un électrochoc pour enfin prendre conscience du 21e siècle et reconnecter, en pensée et en paroles pas juste sur Twitter, avec celles et ceux qui lui sont demeurés fidèles.

Parce que des fidèles, il en reste même si les églises se vident. À Piopolis comme ailleurs, ces bénévoles-là qui travaillent dans l’ombre font des miracles avec peu de moyens. Ils seraient les premiers à s’engager pour aller défendre leur pape s’il était attaqué. Parmi eux, une majorité de femmes. Même si l’Église, du moins au siège social, affiche encore une certaine réticence à reconnaître leur capacité à devenir autre chose que des humbles servantes, il faudra bien qu’elle assouplisse ses règles, plus tôt que tard.

Quand approche la semaine sainte, des images me reviennent en mémoire. Une grosse semaine de cérémonies étalées du jeudi au dimanche pour le fier petit enfant de chœur que j’étais. Un peu de nervosité mêlée à de la fébrilité. Le jeudi, c’était le lavement des pieds. Choisi avec d’autres pour m’agenouiller devant un petit groupe de fidèles de la paroisse, des notables ou à tout le moins des représentants d’organismes, je devais déchausser un pied, le déposer dans la bassine d’eau, le retirer puis l’essuyer avec un linge pur. Oh comme j’aurais aimé laver un pied de femme, même celui de ma mère qui s’activait dans les causes paroissiales. Mais, m’expliquait-on, Jésus a eu douze apôtres... donc! Même sa mère, Marie, siègeait pas au conseil d’administration!

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