Le sac de bonbons

Sans trop connaître son vrai nom, parce que, en réalité, on s’en foutait, on l’avait tous au village baptisé Madame Bonbon. Son commerce était on ne peut plus accueillant avec une odeur de sucre et de réglisses qui flottait dans l’air et s’engouffrait au fin fond des narines de quiconque avait le bonheur de pousser la porte donnant sur la rue principale. Un peu comme l’odeur de l’encens qui flotte dans une église, sauf qu’on n’allait pas chez Madame Bonbon pour prier mais bien pour commettre l’un des sept péchés capitaux, le plus mignon d’entre tous et le plus facilement pardonnable, celui de gourmandise. Le long des murs, les étalages étaient remplis de bocaux de verre où fourmillaient couleurs et formes évocatrices à faire saliver un saint. Bâtons de réglisse, pastilles de menthe, bonbons au miel, lunes de miel, guimauves, sucettes, boules de gomme «d’Europe», bananes à la guimauve, dragées… Le comptoir derrière lequel Madame Bonbon se tenait, dans la pose d’un général veillant sans relâche sur son armée, avait lui aussi de larges vitres qui descendaient jusqu’au plancher. De sorte que, peu importe l’âge et la grandeur de l’enfant, c’était inévitable, les «nananes» leur sautaient en pleine face sans qu’ils cherchent à s’en défendre. Une visite chez Madame Bonbon valait tous les parcs d’attraction de la Terre.

En ce temps-là, le sac de bonbons était synonyme de pouvoir ultime. L’ancêtre des enveloppes brunes! Les enfants de familles à l’aise, les mieux nanties disons, pouvaient s’en mettre plein les poches sans regarder à la dépense pour ensuite en faire la distribution aux amis qui ne manquaient pas de s’agglutiner comme les mouches autour d’un pot de miel.
À l’époque, l’intimidation prenait le visage du plus riche qui tenait le sac face aux autres qui attendaient leur part de la manne, la langue à terre. Les «rejets» pouvaient bien sécher. L’amitié était scellée par le sucre, toujours de plus en plus de sucre!

Aujourd’hui, maintenant que nous sommes vieux et que nous prenons davantage soin de nos dents, admettons que le sac de bonbons n’a plus le même attrait. Les enfants, de la monnaie plein les poches, en trouvent dans tous les dépanneurs, le plus souvent dans des emballages qui ne sentent que le plastique. On les trouve encore pêle-mêle dans des sacs de papier brun, mais de moins en moins. Fini aussi les Madames Bonbons. Les gouvernements ont pris le contrôle de la confiserie. Ce sont eux qui tiennent le sac et le peuple qui tend la main en espérant toucher sa part de sucreries.
Je vous dis ça, parce que l’autre jour, pour l’annonce officielle de la subvention accordée par le ministère de la Culture et des Communications pour l’emménagement de la bibliothèque municipale de Lac-Mégantic, j’ai eu ce flash du sac de bonbons. Remarquez que c’est bien normal que le gouvernement au pouvoir fasse les annonces, même si un projet a été mené en grosse partie par le gouvernement précédant la dernière élection. Normal que le gouvernement de Pauline Marois, qui tient la confiserie après neuf ans de propriété libérale, distribue lui-même les subventions accrochées aux programmes normés. Péquistes et libéraux ne réinventent pas la roue, chaque fois qu’ils regagnent le pouvoir à Québec, après une longue période d’absence. Ils sont les gérants de notre commerce de confiserie.

Ce jour-là, en l’absence du ministre Maka Kotto, retenu ailleurs, c’est le député de Sherbrooke, Serge Cardin, qui s’est fait le messager de la bonne nouvelle. Sur les chaises alignées face à la tribune d’honneur, j’aurais aimé voir Johanne Gonthier. Après tout, elle était là au début du dossier. Mais bon, le pouvoir exercé par celui qui tient le sac n’est pas aussi partageable que son contenu. Donc, au nom de «notre gouvernement», Serge Cardin a chiffré la subvention accordée pour le projet. Après tout, quand on attend le feu vert depuis tant d’années, l’annonce officielle, qu’elle soit rouge ou bleue, a exactement le même goût de la victoire pour les bénévoles qui vont y travailler. Du bon «bonbon». Du «bonbon» à saveur d’honnêteté, parce que c’est rien d’autre que de l’argent public remis à des organisations qui le méritent.

À pleins camions !

C’est à un tout autre commerce que se livrent les principaux témoins entendus à la Commission Charbonneau. Leur sac de bonbons à eux, les véreux, sont gros comme des camions remplis de billets de toutes les couleurs, bruns de préférence. Des millions et des millions de dollars en liquide qui ont transité d’une main à l’autre, parfois d’un bas à l’autre! Heureux sont ceux qui ont résisté à la tentation car, ces jours-ci, les autres qui ont roulé sur l’or et se sont offerts du luxe sur le bras de leurs pourvoyeurs de bonbons, les trouvent durs à digérer. Ils passent mal en travers de la gorge. Surtout quand c’est l’UPAC qui les suspend par les pieds en leur criant de recracher! Bonbons mal acquis ne profitent jamais bien longtemps à ceux qui s’en régalent!

Fonctionnaires, ingénieurs, souscripteurs, élus, chacun à son tour est venu témoigner du stratagème qui permettait de contourner les règles établies dans l’octroi de contrats publics, financés avec l’argent du bon peuple.
À bien y penser, toute l’usine à bonbons nous appartient à nous, les Québécois. On est les membres d’une grande coopérative de solidarité. Mais come clients, si on a de moins en moins d’argent pour s’offrir les bonbons qu’on produit, c’est parce que, en cours de route, y’a plein de mains agiles qui ont percé des trous dans les sacs et qui s’en sont remplis les poches à notre insu et se sont gavés à nos dépens. Maintenant, ils filent mal? Tant mieux!

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