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Lettre à Madame Colette
La fenêtre de mon nouveau bureau, rue Salaberry, donne sur le centre-ville de Fatima. Y’a encore beaucoup de trafic, souvent des camions chargés de pitounes de bois qui sortent et qui entrent dans la ruelle juste à côté, vers la cour de Billots Sélect. Difficile de ne pas remarquer la boucane noire qui sort des mufflers. Mais j’imagine que les gens de la place s’y sont habitués à la boucane. Pas très loin à l’ouest, «Chu Cliche» est un occupant presque aussi vieux que la ville! Presque aussi vieux que le chemin de fer. C’est tout dire. «Chu Cliche» aussi y’ont fait des efforts pour l’environnement. Plus que le chemin de fer !
La semaine d’avant, y’avait encore plus de camions de pétrole escortés de policiers qui se dirigeaient vers l’usine d’épuration, rue Wolfe. Mais ce n’est rien comme circulation en comparaison de la rue Laval que nous avons récemment quittée.
Le vôtre, votre bureau, donne sur le lac, je sais. J’y allais presque sans m’annoncer… avant ! Vous avez besoin de cette vue, surtout en temps de crise, parce que la tâche est titanesque!
Ce qui étonne un «nouvel arrivant» comme moi à Fatima, c’est l’impression d’avoir échoué dans une autre ville, un autre village. Surtout que la voie de contournement, c’est long à contourner! Et périlleux! Mais ça vaut le détour. Ici, la vie ne s’est pas arrêtée comme dans le vieux centre-ville! Vous savez, le centre-ville dont on voit des photos anciennes sur le comptoir du restaurant Chez Sherlyne, en parlant de tout et de rien, mais surtout du rien qui occupe désormais le tout centre-ville! Toujours pas compris pourquoi, ici à Fatima, on appelle ça le Bronx! Pour moi, le Bronx, c’est de l’autre côté de la rivière! Juste en arrière de l’école primaire où la SQ avait établi son poste de commandement. Parfois, c’était drôle! La grosse musique au fond la caisse, les portes grandes ouvertes, comme pour narguer les poulets qui défilaient bumper à bumper! Ici, le monde a l’air correct. Y’a surtout l’air de mériter, enfin, qu’on les considère sur les planches à dessin pour un «avenir meilleur». Un quartier avec plein de potentiel!
Ici, pas d’odeur de pétrole comme sur Papineau, quand le vent souffle du sud.
Mais, ce n’est pas de ça dont je voulais vous entretenir, en m’assoyant devant le clavier. Je voulais parler de courage, un mot à la mode en ces temps de grande noirceur! Tellement, qu’il a fallu que je consulte, pas un psy mais tout bonnement un dictionnaire. Je pensais que dans le mot «courage», y’avait aussi le mot «rage»! Mais non! Faut donc que je prenne mon gaz égal!
Disons que ma source n’est pas la plus crédible, juste Wikipedia. «Le courage est un trait de caractère qui permet de surmonter la peur pour faire face à un danger. Le terme peut aussi être employé pour exprimer l’endurance, notamment à l’égard de la douleur. Son contraire est la lâcheté!» Entre courageux et lâche, ai-je vraiment le choix? T’sé, quand on voit les gens atteints de cancer, tout de suite on les trouve courageux. C’est vrai qu’ils le sont. Question de survie face au danger, leur maladie. Le courage authentique, dit Wikipedia, requiert l’existence de la peur, ainsi que le surpassement de celle-ci dans l’action. L’annuel Relais pour la vie prend tout son sens. Ces gens-là marchent et tournent en rond dans le parc de l’OTJ parce qu’ils ont choisi l’action. Y’a d’autres formes d’action, d’autres formes d’encouragement, mais, la preuve est faite, celles et ceux qui se battent contre le cancer avec courage ont souvent plus de chance de le vaincre.
Remarquez, Madame Colette, que j’ai toujours pas compris pourquoi une région comme la nôtre, qui perd trop d’êtres chers à cause du cancer et qui, per capita, envoie un nombre plus élevé de clients aux oncologues de Sherbrooke, n’a jamais décrété l’état d’urgence pour en connaître la cause ou les causes. Pourquoi y’a jamais eu vraiment d’études sérieuses, très poussées!
Dans le cas d’un danger «qui est manifestement sous-estimé», on parle plutôt d’«inconscience», pas de courage! Et c’est ce foutu mot qui me trotte dans la tête ces jours-ci quand j’entends ou que je lis le mot «courage» ! Quelqu’un devrait nous le dire, sans ambiguïté, si vivre autour de la zone dévastée est «courageux»,«inconscient» ou tout bonnement «téméraire», comme dans «faire face au danger par orgueil». Ou est-ce «audacieux»?
Comme même le bureau de postes a été délocalisé, j’ai préféré vous envoyer cette lettre par le journal local. Celui qui était avant et qui sera encore après ! Parce qu’à force d’être délocalisé une fois, délocalisé deux fois et bientôt peut-être relocalisé sur le boulevard des Vétérans, à côté de la zone de guerre pas trop inspirante, je me suis dit que ça valait peut-être la peine de me dépêcher de vous écrire, en espérant que vous allez me lire!
Ah oui, je voulais vous dire que j’suis pas trop du genre à écouter des chansons ces temps-ci! Le réconfort, c’est les gens de la rue qui me le donnent! Quoique l’Ordinaire de Robert Charlebois a des passages qui disent tout : «Quand je crie (j’écris) c’est pour me défendre ; j’aimerais bien me faire comprendre ; j’voudrais faire le tour de la terre, avant de mourir pis qu’on m’enterre, voir de quoi l’reste du monde a l’air!»
Mais ce serait lâche d’aller voir ailleurs! Condamné à rester ici. Comme tous vous autres, les téméraires, les audacieux, les inconscients et les courageux.
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