Les Ouerreux d’Amérique!

Les touristes, gentils merles bleus de passage, les Méganticois, humbles sizerins flammés et les autres, les ouerreux d’Amérique, coucous envahissants et sans-gêne, vont et viennent dans un ciel trop sombre. Pendant que les uns survolent les lieux pour constater de visu l’ampleur du désastre, en comprendre les tenants et les aboutissants, les autres se livrent à la becquetée d’images pour impressionner la basse-cour au retour à la maison.

Il est normal de se faire une idée de la dévastation d’autant plus que –dindons de la farce- nous aurons collectivement à en assumer la facture parce que les coupables semblent toujours s’en tirer à bon compte qu’ils soient sénateurs dépensiers, banquiers papiers-commerciaux, entrepreneurs enveloppes-brunes, ingénieurs retors, politiciens véreux ou accros aux primes de départ. Comme des oiseaux légers, nous nous laissons porter par le vent: tantôt le train de la mort sera un train de vie. Un virage à 180 degrés, de quoi donner le vertige.

Les ouerreux bigarrés aux pattes poilues voyagent par bandes, attirés par les catastrophes. Malpolis, ils perchent parfois sur notre balcon où ils abandonnent leur méga-café et les restes poisseux de leur lunch. Ces gallinacés qui jacassent et pépient volontiers se déplacent en autarcie. Quelques-uns sont huppés, la plupart, casqués aux couleurs de leur consommation. Ils avancent tirés par un ventre proéminent ou poussés par un arrière-train charnu, véritable «cabouse». C’est qu’ils mangent, ces oiseaux, pas seulement du malheur mais aussi de la poutine, de la pizza et des beignes. Alouette! Même maigres et osseux, ils sont tout aussi voraces et picosseux.

Le roulis de leur démarche souvent mal assurée est en fait une tactique pour piéger quelque bon samaritain, se l’accaparer et l’obliger à écouter leurs émois. Ils déambulent en regardant constamment à gauche et à droite, surtout à droite. Jamais devant. Un mot résume leur vision de l’enfer, toujours le même: «épouvantable». La femelle le répète en hochant la tête et en appuyant ses mains contre sa poitrine tandis que le mâle l’articule en se caressant le menton. Les deux mettent l’accent tonique sur la syllabe «pou» au lieu de le placer sur la dernière syllabe sonore du mot. Sans le savoir, ils marient l’horreur au tragique.

Les ouerreux d’Amérique ont deux yeux de fouine et un œil-mémoire au bout des doigts. Ils photographient, sans discernement, le signifiant et l’insignifiant. Une image vaut mille mots; mille images, c’est rien de moins qu’un méli-mélo. Quand la police intervient, rue Champlain, pour les ramener à l’ordre, la bande se dissout un instant. Une fois les gros-becs repartis, les wézi-wézos reviennent s’agglutiner devant la brèche pratiquée dans la toile de la clôture. Vision apocalyptique dans l’encadrement d’un trou de serrure Quand ils auront tout mangé, des yeux et du bec, ils migreront vers un autre désastre pour nourrir leur oisiveté intellectuelle. Au passage, ils auront jeté de l’ombre sur les merles bleus civilisés, compatissants et généreux. À eux seuls, ils auront justifié la barricade et le voile, la frontière entre le questionnement et le voyeurisme. De chaque côté de la clôture, une prison dans laquelle on a abandonné les victimes pendant qu’on laissait fuir les coupables aux USA et à Ottawa.

Paul Dostie