Oscar Brochu

À quelle heure le prochain train pour l’enfer?

Les jours passent en apparence simples et tranquilles; la douleur s’installe à demeure dans une indifférence coupable. Obsédés par le train de l’économie, nous en venons à oublier la souffrance pernicieuse et la cause même de la catastrophe. Il faudra se faire à l’idée, le train –comme si rien ne s’était passé- continuera de hanter le cœur de la ville, cinq fois plutôt qu’une. Mégantic, brûlée vive sur le bûcher de la consommation, n’est rien moins qu’une mère défigurée à qui le destin a arraché ses petits et que les enfants survivants peinent à reconnaître parce qu’elle a été brûlée jusqu’à l’âme tant par la déflagration que la nécessité économique.

Ce qui aurait dû être la condition sine qua non à tous les sacrifices et deuils que nous nous sommes imposés depuis le 6 juillet ne compte même pas parmi les priorités. Les élus semblent davantage souhaiter le déplacement de la voie ferrée, un peu comme on fait un vœu, que de l’exiger. De son côté, la population, après avoir dénoncé à cor et à cri la situation et signé des pétitions, sombre dans un défaitisme malsain. Situation particulièrement ironique: la seule chose qui sera comme avant –sur ses rails- c’est le crisse de train. Ce qui signifie que nous serons placés dans la même situation de vulnérabilité qu’avant.

Naïfs, nous croyons aux promesses et à la pérennité des lois, au règlement municipal interdisant le transport des produits dangereux sans même savoir quelle police voudra bien le faire appliquer: la Gendarmerie à cheval ou la SQ à moto? Tôt ou tard, les citernes maudites traverseront à nouveau le centre-ville et oseront même nous narguer en obstruant la rue au passage à niveau. Une situation de fait que relatait L’Écho le 25 janvier et encore le 29 mars 2013. Deux heures dans le premier cas, trois heures dans le second. Et je vous fais grâce des incidents techniques et des déversements accidentels: 13 000 litres, le 11 juin 2013 à Frontenac. Pour trois événements cités, combien passés sous silence?

Ne croyez pas que le gouvernement fédéral tolérera bien longtemps l’obstruction municipale au passage des citernes quand la devise du pays est a mare usque ad mare et que la nôtre est « me souviens-je? » Il suffira d’un simple décret ministériel voté en douce pour que le train retrouve sa voie. Gros Jean comme devant, nous aurons alors troqué notre sécurité pour le plat de lentilles.

Le déplacement de la voie ferrée n’est pas un caprice, mais une nécessité.

1. Nous le savons d’expérience : il n’y a pas de loi pour contrer la bêtise humaine. Consultez, sur Internet, la liste des déraillements canadiens des six derniers mois. Le risque est réel et l’erreur humaine constante.

2. Lac-Mégantic est et sera toujours au pied d’une pente raide, peu importe que le convoi vienne du nord ou du sud.

3. Ce n’est pas un rêve psychotique non plus. Au bulletin de nouvelles du 4 décembre à la SRC, on nous apprenait que 419 convois à la dérive avaient circulé sur les rails canadiens entre 2000 et 2012. Soit 35, en moyenne, par année. Trente-cinq! Le tiers étant déclaré, il n’y a pas de quoi être rassuré. Et ce ne sont pas que des MMA de broche à foin qui sont en cause. Informés, si les gouvernements n’ont pas réagi pendant toutes ces années, c’est par négligence criminelle et parce que pour eux la vie a un prix qu’ils ne veulent pas payer.

4. Imaginez qu’une semi-remorque ou un camion citerne percute un wagon à la jonction des rues Laval et Frontenac. Parce que l’ancien, le nouveau centre-ville et une large section du boulevard des Vétérans auront été remblayés de gravier, vous réalisez sans peine la profondeur et la vitesse à laquelle la prochaine contamination fera ses ravages : ce sera l’autoroute vers le lac et la rivière. Une ou deux citernes suffiront à nous remettre dans la merde.

5. Il y a aussi des raisons socio-économiques au déplacement de la voie ferrée. Le pont de fer au dessus de la rivière et le viaduc disparus, nous pourrions rêver UNE ville au lieu d’en planifier les parties ou de la concevoir en silos qui isolent au lieu d’unir. Ce serait donner une chance au pari mutuel urbain dans lequel nous nous sommes engagés, une manière de sauver la mise. Le train nous a fait vivre, tués aussi et surtout divisés en barricadant Fatima derrière le talus. Le déplacement de la voie ferrée devrait faire partie de la relance économique et de la revitalisation du quartier sud. Il y a là la possibilité d’un triangle harmonieux si nous parvenons à unifier notre développement commercial désormais divisé en trois pôles : l’ancien centre-ville, le nouveau et Fatima.

6. Le risque augmente. Avant nous traversions la voie ferrée deux fois : sous le viaduc et à la jonction de Laval et Frontenac. Demain, ce sera cinq fois : sous le viaduc, à la jonction Laval-Frontenac, deux fois sur Papineau et une fois sur la rue Komery. Ça ne semble pas inquiéter M. Harper et ses trois ministres venus recycler un vieux chèque et leur image. Pas un mot sur le déplacement de la voie ferrée : pour la compassion, il faudra repasser. Bref, si 47 victimes, ce n’est pas assez cher payé, c’est que l’argent est une valeur absolue et que la vie se négocie. Ça ne donne rien de reconstruire le cœur de notre ville si on la place dans la même situation de vulnérabilité, à la merci d’actionnaires sans scrupule et de gouvernements inféodés.

7. Qui plus est, MMA ou son nouveau propriétaire pourrait contourner l’interdiction municipale du transport pétrolier en reconstruisant le tronçon de la voie ferrée sur lequel la compagnie circulait avant le 6 juillet. La Ville et MMA ont bel et bien signé une lettre d’intention d’échange de terrains, mais le contrat officiel, lui, ne l’est pas encore. Le plus ironique de cette situation, c’est que nous aurons décontaminé, probablement à nos frais, le terrain de la MMA. Je raille et déraille : en nous passant sous le nez, les Irving, si la rumeur se confirme, nous feront le plus scandaleux des doigts d’honneur.

8. Pour accéder à la zone industrielle, la compagnie ferroviaire devra abandonner ses wagons-citernes entre l’ancien et le nouveau centre-ville, sur le pont, le viaduc, bloquer la rue Agnès ou les stationner sur les hauteurs de Nantes. Qui a encore le goût de voir là 72 citernes à la merci d’un désaxé armé qui rêve d’un feu d’artifice? Il lui suffirait d’agir avant que le convoi ne soit immobilisé ou que le dérailleur de la voie d’évitement ne soit opérationnel.

9. La voie ferrée entre l’ancien et le nouveau centre-ville est si à l’étroit qu’on conçoit sans peine le « chientage » que le va-et-vient des wagons forcera. Avance, recule, bloque un passage à niveau ici, un autre là. Il faudra s’armer de patience et souhaiter que les urgences n’en paient pas le prix.

10. Si nous ratons l’occasion de déplacer la voie ferrée, nous aurons collectivement trahi l’amour et l’aide dont tout le Québec nous a gratifiés parce que nous aurons tué l’espoir pour les suivants, plongés à leur tour dans la douleur, de dévier le destin ou de contrer l’incurie. Au devoir de santé publique et de sécurité s’ajoute celui de la reconnaissance. Ce serait absurde que 47 victimes, une ville sens dessus-dessous et un demi-milliard de dollars ne servent qu’à faire tourner l’économie sur elle-même, tel un derviche tourneur.

Inconscients, certains applaudissent le cynisme du gouvernement fédéral qui semble prêt à assumer la moitié du coût de la décontamination et du déplacement de la voie ferrée si Québec s’engage à payer l’autre moitié. Comment un coupable peut-il, sans sourciller, obliger ses victimes à participer aux frais de sa négligence criminelle? À force de calculer les mots comme les chiffres, l’État en vient à mettre le contribuable qu’il siphonne dans la colonne des revenus et le citoyen solidaire dans celle des dépenses. Il parvient ainsi à nier leur humanité et le drame qui les habite. C’est connu, les statistiques n’ont pas d’âme.

Malgré mes doléances, je suis conscient que notre conseil municipal et ses employés travaillent d’arrache-pied et accomplissent, au jour le jour, de véritables exploits. Ce n’est peut-être pas le centre-ville espéré, mais la vie reprendra son cours. Si les locataires achètent leur «condo», on peut penser qu’ils personnaliseront leur propriété et donneront du caractère à ce qui est encore anonyme. Souhaitons qu’ils évitent de copier les « outlet » de Bromont ou l’architecture artificielle de Mont-Tremblant. Nous ne sommes ni Américains, ni Laurentiens, ni Beaucerons. Mais, qui donc sommes-nous?

Bref, j’aimerais être certain que l’on mette autant d’énergie à déplacer la voie qu’on en a mis à relancer l’économie. Pour l’instant, je me sens comme un patient hospitalisé dont le médecin est plus préoccupé de récupérer le lit que de soigner son arythmie. Il faut bien plus qu’une déclaration d’intention ou qu’une résolution unanime du conseil, il faut la croix et la bannière. Rien de moins. Sinon, l’énergie du désespoir et l’appui indéfectible de toute une population. Pour que la mairesse puisse réclamer le déplacement de la voie ferrée, il faut qu’elle sache que c’est là, non pas notre souhait, mais notre volonté. De toute manière, nous n’avons pas le choix, les convois, explosifs ou non, doivent sortir de la zone urbaine.

Paul Dostie

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