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Tricotés serrés?
Rencontre fortuite un bon matin au bureau. Gilles Abran est un résidant de Lac-Mégantic depuis quatre ans. Donc, pas un «étranger» dans le sens propre du terme, mais pas un «local» non plus, parce que ses racines familiales à lui ne sont pas d’ici. Les miennes non plus, donc sur la même longueur d’ondes.
Le retraité a acheté une maison sur la rue Claudel, il y a trois ans. Un citoyen méganticois, avec tous les privilèges. Mais il n’est pas de la gang de ceux qui ont subi l’évacuation le 6 juillet. Il fait plutôt partie des quelque 4 000 citoyens, les deux tiers de la population, qui n’ont pas été «directement» affectés parce qu’ils ne résident pas dans les zones jaune et rouge. Gilles Abran n’est pas du genre à se promener avec des pancartes pour dénoncer le «train du diable», comme il l’appelle. Mais cette nuit-là, le sale train a bouleversé ses habitudes de vie. Une vie à laquelle il s’accroche, avec sa santé fragile. Le cancer frappe à l’aveugle. N’importe qui. Même si t’as fait une bonne vie, même si tu crois en Dieu, même si tu respectes la nature et l’environnement, le cancer, lui, n’en a rien à foutre de tes croyances et de tes allégeances.
Gilles a «choisi» de vivre le temps qui lui reste à Lac-Mégantic après avoir connu la vie des méga-cités telles Vancouver, Montréal et Toronto. C’est là justement qu’il était, à Toronto, le jour où il a pris la décision de partir vers de meilleurs pâturages. «J’ai mis un doigt sur la mappe. Au hasard.» Et le doigt indiquait Lac-Mégantic. Il a alors plié bagage avec la femme de sa vie, Marie-Lise. «Le 21 novembre 2009, on est tombés en amour avec le centre-ville», raconte-t-il. Il se souvient de la date. Mémorable! Pas de misère à le croire, n’importe qui tombait en amour avec le centre-ville, quand il le traversait de bord en bord pour la première fois. T’sé, la rue Frontenac, celle que l’on parcourt maintenant avec une permission spéciale, à bord d’un autobus dont le conducteur a pour consigne de ne laisser personne s’en échapper pendant la tournée. Pour la sécurité du citoyen, bien sûr! La rue Frontenac bloquée par des «check point», comme à Kaboul, aux abords des ambassades. Avec des gardiens qui te voient approcher avec méfiance et qui respirent mieux quand ton char pique vers la rue Milette, en «zone libre». Moi, personnellement, j’aurais plus peur de voir approcher un train qu’un paisible citoyen, mais bon! Notre monde a changé, qu’ils disent!
Gilles l’aimait son centre-ville. Le lieu public, le lieu de rencontre, la place animée et si accueillante au cœur de la capitale régionale. Il trouvait là plein de produits, plein de services, à deux pas de chez lui.
Dans ses promenades, Gilles perpétuait la bonne habitude qu’il avait prise tout au long de sa vie. Même dans les rues de Toronto, il saluait le monde qu’il croisait sur le trottoir. Même dans des grandes villes que l’on croit sans âme, la plupart lui rendait la pareille. On est un tissu humain après tout! Dire simplement «bonjour» n’est pas encore classé comme un signe ostentatoire dans notre société pourtant si frileuse, si inquiète de l’autre, l’étranger! Deux ans et demi après son arrivée en cette terre d’accueil, il a cessé de saluer tout le monde parce que tout le monde faisait un saut quand il voyait ce gars-là, tout sourire, lui lancer comme ça: «Bonjour!» Les gens qu’il croisait devaient attendre un peu avant de se retourner. «Pas normal, ce type. Un Témoin de Jehovah ou un membre d’une secte!» Ben non! Gilles n’avait pas l’intention de les heurter, ni d’aller cogner à leur porte, juste les saluer. T’sé quand tout le monde raconte qu’ici, c’est une communauté tissée serrée! Et les journalistes n’arrêtent pas de le répéter depuis six mois, en décrivant les Méganticois. «Est-ce que je suis naïf!» Ben oui, Gilles, mais ce n’est pas un défaut! Ni un péché ! Ni une maladie! On est naïf par naissance, on perd cette faculté en vieillissant!
Moi aussi, je l’étais! Avant! Et quand on me dit «sois positif !», je fais un gros effort de naïveté! Comme un suppositoire qu’on s’enfonce vous savez où pour soulager de ces douleurs qui nous tordent le ventre. Bon, je divague!
Avec son budget restreint, le couple a réduit les dépenses au minimum. Comme plusieurs ici, d’ailleurs. Mais quand on a des problèmes de santé, il y a des besoins essentiels qu’il faut parvenir à combler, quoi qu’il en coûte, même si pour ce faire il faut prendre la route, prendre du temps, engager l’auto en direction de Disraeli ou de Saint-Georges alors qu’avant le «gros boum», le bon vieux Metro était si accommodant!
Comment il se sent, Gilles, par rapport à tout ça? Un laissé-pour-compte, comme sans doute des centaines d’autres. Des milliers d’autres comme lui qui doivent subir sans broncher, sans revendiquer. Bref, «comme un sac à merde!», lâche-t-il, au fil de la conversation. Aujourd’hui, dans ce qui était autrefois un petit paradis, il en veut à la vie. «J’ai plus envie de sacrer que de parler.» Et pourtant les mots ne lui manqueraient pas à ce poète. Sauf que le vocabulaire manque de termes francs, authentiques quand on veut décrire son désespoir face à tout ce désastre qui lui cause beaucoup d’ennuis.
«Les commerçants vivent de durs moments», reconnaît-il. La veille, à la télé, il les a vus se raconter, proclamer leur volonté à tous de se relever. «Mais nous, il n’y a personne qui parle de nous», poursuit-il, naïf mais conscient qu’il faudrait qu’il sorte une pancarte sur laquelle il aurait écrit «Non aux trains» au crayon noir, qu’il aille se dresser devant une locomotive sur la voie ferrée, quitte à se faire ramasser par les policiers.
La prochaine fois que vous croiserez Gilles, surprenez-le! Dites-lui bonjour en premier. C’est pas grand-chose, mais ce sera la preuve qu’on est tous tissés serrés.
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