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Stephan Blackburn, philosophe… et autiste militant
Stephan Blackburn
Stephan Blackburn a hésité un peu avant d’accepter cette entrevue. Un peu mais pas longtemps. Ce professeur de philosophie a enseigné durant toute la session d’hiver au Centre d’études collégiales de Lac-Mégantic. Son métier le passionne, tout comme ses contacts avec les élèves. Il a plein d’autres passions d’ailleurs. Dont celle de démystifier les préjugés sur l’autisme. Un domaine que cet asperger connaît à fond.
À ce jour, la plupart des études démontrent que l’autisme est d’origine neurologique et héréditaire. La documentation portant sur l’autisme décrit le syndrome d’asperger comme le niveau le plus élevé du spectre autistique. Dans les faits, disons que les aspergers, ou aspies, sont plus fonctionnels socialement que les autistes dits typiques et plus verbaux, au point que plusieurs d’entre eux sont surdoués en langue parlée.
Si Stephan a pris le temps de réfléchir avant d’accorder cette entrevue, c’est par crainte d’ostracisation. «À partir du moment où les gens savent que tu es autiste, le regard change… On attribue tel ou tel de tes comportements à l’autisme. Pourtant je suis la même personne. Oui je suis nerveux. Mais ma militance pour faire tomber les mythes entourant l’autisme est plus forte. Parce qu’on a le droit d’être différent.»
Stephan Blackburn démontre à lui seul que cette «différence» n’a rien de réductrice. Père de deux enfants autistes, il est l’auteur de deux ouvrages, dont Dieu merci ! Les autistes sont là!, un essai qui aborde l’autisme sous un angle positif. Et sa personnalité n’a rien à voir avec les critères autistiques définis par les experts. Oubliez le ton monocorde, l’absence d’empathie, le visage inexpressif, les intérêts restreints et la compréhension limitée au premier degré. Stephan est tout le contraire, comme plusieurs de ses congénères.
Qui sont les aspergers? «On est un peu excentriques». Comme plusieurs profs de philo? Sa réponse est précédée d’un rire qui, comme lui, rappelle étrangement le père Noël. «Je veux dire qu’on n’est pas normaux dans le sens de la norme.» Et, non, le personnage de Rain Man n’est pas inspiré d’un asperger mais de Kim Peek, atteint du syndrome du savant.
«L’autisme est mal compris et parfois on a l’impression d’être un peu des phénomènes de foire qu’on sort de temps à temps pour montrer aux gens… Je dirais que ma pensée est différente de la norme parce que je n’ai pas de fonctions multitâches qui me permettent, par exemple, de tenir cinq conversations par texto en même temps. Je dois gérer une plus grande quantité d’anxiété que la plupart des gens. S’il y a trop d’éléments en même temps, par exemple un téléviseur allumé pendant que quelqu’un me parle, il faut que je fasse un effort pour en faire abstraction, alors que ça se fait automatiquement pour un neurotypique.»
En même temps, dira-t-il, l’autisme est pluriel. «Certains traits qu’on dit caractéristiques aux autistes sont vrais pour certains autistes mais aussi certains neurotypiques (les non-autistes).» D’ailleurs, lui et d’autres adultes aspergers qui sont particulièrement actifs sur les réseaux sociaux viennent tout juste de concevoir la vidéo Les autistes et les mythes, qu’on peut visionner sur Youtube.
Stephan caresse de nombreuses passions, allant de la philo à l’automobile en passant par le violon, instrument qu’il a enseigné de nombreuses années. Rien à voir avec des intérêts spécifiques. «Un enfant qui n’aura pas été stimulé dans la potentialité de son intelligence va sans doute se concentrer sur ses intérêts particuliers. Oui, un tout jeune autiste qui aligne des petites autos ça existe. Mais ce n’est pas le cas d’un gars de 40 ou 50 ans. On devient adulte, comme tout le monde!»
Il y a aussi des qualités intrinsèques à être autiste, soulève Stephan. «On fait de bon citoyens. Nous sommes extrêmement loyaux. On ne peut pas vivre avec un mensonge sur la conscience; il est impossible pour nous de dire une chose et d’en penser une autre. J’aimerais aussi que les gens réalisent à quel point l’autisme est extrêmement diversifié. Et que les autistes ne font pas pitié mais qu’on peut les aider à être heureux en les laissant être ce qu’ils sont. Parce que ce qui importe dans la vie, ce n’est pas la performance ou le conformisme; c’est le bonheur. Tant qu’un enfant ne nuit pas à son environnement, on le laisse être qui il est et surtout, on ne rit pas de lui.»
Cette sensibilisation à l’intégration sociale des autistes se fera par le nombre, croit Stephan Blackburn. «Plus nous serons nombreux à s’affirmer comme autistes, plus nous ferons le poids socialement. Il faut faire comprendre à la société que même si on est particuliers, l’autisme n’est pas une maladie.» Et qu’il ne faut pas prendre les difficultés qu’ont les aspies à entrer en contact avec autrui pour une fatalité. «J’étais un enfant de la clôture. Jeune, j’étais déjà un grand et gros bonhomme mais j’avais peur de me défendre et les autres enfants le savaient… Aller vers les autres, ça s’apprend ; aujourd’hui j’ai beaucoup de bons amis», témoigne-t-il.
On dit souvent des autistes qu’ils sont incapables de comprendre les concepts abstraits. Pourtant, Stephan Blackburn enseigne la philosophie et sa passion pour cette matière n’a d’égal que sa motivation à transmettre ses connaissances. «La philo donne des références. Un texte, c’est juste un code. Tu en trouves le sens, tu réfléchis, tu le mets en pratique. Quand tu traduis aux élèves l’histoire de la philosophie, que tu leur fais faire leur échelle de valeurs, tu leur permets de se recentrer, de développer leur esprit critique et d’être mieux armés pour affronter les épreuves de la vie. Je me dis que si la philo les change un peu pour le mieux, ça crée un effet papillon.»
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