Oscar Brochu

États généraux, état d’esprit et état d’âme!

Je suis sorti des États généraux sur l’avenir du nouveau centre-ville (rue Frontenac et boulevard des Vétérans) à la fois rassuré et inquiet. Rassuré, parce qu’il y a plus de points de convergence que je ne l’aurais cru. Inquiet, parce que nous avons davantage imaginé la ville du point de vue de l’homo économicus que de celui du citoyen. Sans compter que sous l’œil de la caméra depuis le déraillement, nous avons tendance à nous imaginer dans le regard de l’autre.

Explications:

Soyons francs: tous les groupes thématiques sont, en fait, des groupes d’intérêt. Chacun est venu réclamer sa place au soleil: la culture, les jeunes, le tourisme, les affaires, les organismes communautaires, etc. Jusque là, rien d’anormal. Ce qui inquiète, c’est l’image que nous avons de nous-mêmes parce que le consommateur semble avoir pris le pas sur le citoyen: nous n’avons pas beaucoup parlé de qualité de vie. Certains groupes de travail ont même senti le besoin de faire un lien avec le tourisme pour se donner la crédibilité que l’argent confère. Voulons-nous créer un milieu de vie ou une vulgaire zone touristique? Depuis le 6 juillet 2013, nous avons beaucoup sacrifié à l’économie; le temps est venu de brasser d’autres valeurs, que l’on fasse une véritable place au citoyen.

Démonstration :

1. Au lendemain du déraillement, les citoyens que nous sommes n’ont pas eu leur mot à dire en ce qui concerne la reconstruction de la voie ferrée: il fallait à tout prix répondre aux besoins de la zone industrielle et sauver des emplois.

2. Nous n’avons pas eu notre mot à dire dans le dossier des expropriations sur la rue Salaberry: il fallait faire de la place pour les Metro, Jean-Coutu, SAQ et Banque nationale. Le prix à payer pour revitaliser le quartier.

3. Nous n’avons pas eu aussi notre mot à dire dans la création de la Promenade Papineau parce qu’il fallait, de toute urgence, éviter que les commerçants choisissent de s’installer en périphérie. Il fallait sauver le cœur de la ville, ouvrir une artère commerciale, réussir le pontage afin d’éviter le trou de beigne mortel.

4. Nous n’avons pas eu non plus notre mot à dire dans la décision de détruire les édifices du centre-ville sinistré et de sacrifier notre patrimoine bâti parce qu’il fallait acheter la paix face aux banques qui ont bousillé l’économie en 2008 avec leurs papiers commerciaux et aux compagnies d’assurances qui pourtant assurent les wagons-citernes maudits. Pour les mêmes raisons, on a épargné l’horrible édifice Bell et on ouvrira sans doute la marina bien avant le parc.

5. Finalement, nous n’avons pas eu notre mot à dire concernant la voie de contournement parce qu’on n’a pas cru bon d’appeler la population en renfort afin d’envoyer un message sans équivoque qui barre la route aux échappatoires. Nous sachant, désormais, dociles et un peu naïfs, les élus provinciaux peuvent donc, en toute quiétude, se donner le luxe d’une étude de faisabilité d’une durée de trois ans et ce, presque deux ans après le drame. On ne nous a même pas expliqué pourquoi nous sommes passés d’une étude évaluée à 2,5 millions (Écho, 30 mai 2014) à une de 965 765,10$. Sommes-nous passés d’un objectif de «faisabilité» à un «d’infaisabilité»? Maudits politiciens! Ils font partie du problème autant que de la solution. C’est pour ça que nous finissons par les détester. C’est une aberration que le chantier ne soit pas lancé dès cet été. C’est la preuve que le citoyen n’a même pas une valeur marchande à leurs yeux.

La voie de contournement n’est pas un caprice mais une question de simple bon sens. Je ne répéterai pas les arguments que j’ai déjà invoqués, je vais juste vous inviter à regarder une photo de M. Pierre Lebeau, publiée le 7 novembre 2014 dans L’Écho. Vous y verrez un convoi encerclant tout le centre-ville. Aucune porte de sortie autre que le lac. Remplacez les wagons de marchandises par des citernes; si vous ne voyez pas alors la nécessité de déplacer la voie ferrée, c’est que vous êtes myopes pas à peu près ou volontairement inconscients ou actionnaires de la compagnie. Un véritable piège. Au pied de la côte Agnès et du dénivelé Nantes-Mégantic, les convois ne traversent pas, innocemment, la ville du nord au sud, mais l’emprisonnent littéralement. Tergiverser sur ce point, c’est proprement criminel. Cette fois, ce n’est pas MMA qui prend un raccourci avec la sécurité, c’est nous qui tolérons l’absurde.

Bref, pour revenir aux états généraux, voulons-nous créer un milieu de vie ou une vulgaire zone touristique? Là est la question. Aujourd’hui, nous avons la possibilité de corriger les erreurs du passé et de nous donner un avenir en faisant du boulevard des Vétérans un véritable quartier résidentiel. Pourquoi? Parce que les édifices commerciaux contribuent rarement au patrimoine architectural. Ai-je besoin de faire un dessin? Quand des bâtiments imposants y arrivent, ce sont presque toujours des ouvrages institutionnels. Ici, à part l’hôtel de ville et la gare, il n’y a rien d’inspirant qui vaille le détour.

Qui peut insuffler une personnalité à une ville sinon les propriétaires de résidence à cause de la diversité des propositions? Si chacun prend la peine de rappeler un élément architectural d’une de ses voisines afin d’appartenir au tout, nous avons en prime le souci communautaire dans l’individualité. Nous avons un devoir d’intégration architecturale, le devoir de prolonger l’environnement urbain qui subsiste, de donner des voisines aux maisons Laframboise, Tanguay, Poulin, Savard, Dallaire, Paradis, Dubé et Bourque. Souvenez-vous des belles disparues, des maisons Vachon, Dion-Jacques, Parent-Lachance, Vachon- Létourneau, Rodrigue, Duquette et Poisson. Elles ont toutes contribué au caractère unique et au charme de notre ville. «Au Québec, on sous-estime le pouvoir de l’architecture, on oublie qu’à travers elle on découvre les valeurs d’une société.» Pierre Thibault, architecte, lors d’une entrevue à Radio-Canada le 21 mars 2015.

Puisqu’il faut parler d’économie pour ouvrir certaines oreilles, faute d’atteindre le cœur, sachez que ces maisons ont contribué à notre qualité de vie et à l’impression que le touriste a gardée de notre ville. Plus que de la poésie: un investissement financier et humain. Quand le touriste descend le boulevard des Vétérans ou entre dans le parc, au-delà de la carte postale, il est d’une certaine manière dans notre salon, dans un environnement paisible, devant un lac pacifiant où quelques voiles témoignent de notre respect de la nature, devant des montagnes sur les flancs desquelles danse la lumière. Toujours semblables, jamais pareilles. Ce n’est pas en «char» que se vit l’expérience, mais à pied. Nous le savons nous qui partons de Laval Nord, de Salaberry ou de la côte Agnès pour s’y rencontrer, contempler le spectacle d’une nature généreuse ou donner du temps au temps.

Oui au tourisme, non à l’industrie touristique envahissante. Transformer le boulevard des Vétérans en artère commerciale avec sa circulation tapageuse et ses terrasses bruyantes, ce serait détruire ce que nous avons mis des décennies à construire: une qualité de vie et un tourisme vert. Le tourisme de masse a la fâcheuse habitude d’être volage et exigeant. Tantôt, il voudra une marina devant le parc, une plage, des espaces de jeux, de la musique, etc. Il débarquera avec sa motoneige, son véhicule tout-terrain ou son hors-bord infernal et polluant. Le touriste qui fuit les Laurentides cherche la paix et un environnement sain. Nous aussi d’ailleurs. Ce touriste là s’est trouvé un pied à terre dans notre campagne ou autour du lac; il passe l’été ici, on le croise au concert à Piopolis, à l’épicerie ou à la SAQ. Depuis le 6 juillet, beaucoup découvrent nos charmes. Rien ne presse, prenons le temps de construire sur du solide d’autant plus que ce visiteur écologique ne cherche pas à saccager notre espace ni à hypothéquer notre qualité de vie. Il se fond dans le paysage. La région de Lac-Mégantic est encore une terre rare qui vaut bien plus que son pesant d’or. Serons-nous assez intelligents pour sauver la mise et passer au suivant? Avez-vous oublié qu’ailleurs on fait des efforts inouïs pour redonner une ligne d’horizon et l’eau aux citoyens, non pas aux touristes?

La conception du développement qu’on nous propose semble appartenir à un passé insouciant. On dirait que nous sommes encore au «think big» au lieu du «small is beautiful», encore au «sky is the limit», au syndrome du propriétaire omnipotent au lieu de l’humilité du locataire conscient de la fragilité du monde. Pourtant, dans les dossiers de «Réinventer la ville», on parle de développement durable. Rêve, réalité ou fumisterie?

D’après Refkin, « le modèle économique actuel est complètement dépassé en ce qui a trait à sa recherche de productivité, à sa conception même de propriété, à l’importance qu’il accorde au capital financier dans l’oubli du capital social, à la place des marchés par rapport aux réseaux sociaux. » (Troisième révolution industrielle) Dans un premier temps, relisez la citation en vous référant à l’économie en général; ensuite, adaptez-la à la situation méganticoise. Soyez prévenus; les questions sont plus intéressantes que les réponses parce que lorsqu’on réussit à nous les donner, il est souvent trop tard. La productivité doit-elle viser l’épuisement de la ressource et sacrifier l’environnement? Le propriétaire a-t-il tous les droits, peut-il faire fi de son voisin? Le capital financier peut-il mépriser l’apport social dont il dépend? On peut bien prétendre créer de l’emploi, si la société ne bâtit pas les infrastructures, ne forme pas les travailleurs et si les clients n’achètent pas, le «donneur d’emplois» n’ouvrira ses portes ou congédiera sans trop de remords. Dans cette perspective, c’est la collectivité qui les crée.

Pour revenir au tourisme de masse qu’on veut privilégier, je vous invite à méditer la citation suivante tirée du dossier abordant le développement durable que j’ai trouvé sur le site Réinventer la ville : « (…) le tourisme est la première étape de la redéfinition complète et totale des rapports humains en termes de consommateurs et de production de services.» Souhaitez-vous être réduits à des consommateurs, à des contribuables ou à des utilisateurs-payeurs? Souhaitez-vous une économie au service de la société ou une société au service de l’économie? Après avoir rasé le centre-ville, souhaitez-vous, en plus, rayer un mode de vie? Encore une fois, ni MMA ni le Conseil ne seront responsables des choix que nous ferons pour demain: c’est à nous d’envoyer un message clair. Je suis convaincu que les élus ne demandent pas mieux que de savoir quelle direction prendre. La suite dépend de nous: faites-vous entendre! Ne laissez pas l’argent prendre toute la place.

Paul Dostie

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