La lumière jaune

Le 16 décembre 2022 pourrait se qualifier de «vendredi noir». Tout s’est passé si vite! J’ai pris l’appel téléphonique sur mon vieux téléphone à cadran posé sur un meuble de la cuisine. L’arnaque classique: «Votre carte Desjardins a été utilisée frauduleusement à Montréal». L’interlocuteur, qui se fait passer pour un employé du Service Anti-fraude du Centre Desjardins, veut m’accrocher solide à son hameçon. Il va me rappeler sur mon cellulaire. L’appel indique bien sa source: «Centre Desjardins». Et là, tout part en vrille: l’homme veut me rassurer, bien que je ne sois pas inquiet pour deux cennes. Il me défile les instructions pour remplacer toutes mes cartes de crédit et ma carte débit. Mon ange gardien s’occupe de tout. Et moi, le cave avec une bulle au cerveau, j’obéis à la lettre. Après avoir livré toutes mes données, j’attends le «facteur privé» à la porte et lui remets toutes les cartes dans une enveloppe. À l’autre bout du fil, l’homme insiste. Mes nouvelles cartes me seront remises le lendemain, livrées encore là par un «facteur privé». Traitement VIP, j’ai mon facteur privé à mon service!


Pour faire une histoire courte, je me suis fait arnaquer de quelques milliers de dollars, aussi facilement que si on m’avait proposé de donner pour une bonne cause charitable. Moins douloureux qu’un traitement de canal. C’est pas la bouche, mais le cerveau qui est complètement gelé. Aucune lumière jaune ne s’est allumée sur mon tableau de bord interne pour indiquer «danger», méfies-toi! C’est toujours pratique une lumière jaune qui allume sur le tableau de bord d’un véhicule pour t’aviser que le réservoir d’essence est au plus bas et que t’as intérêt à t’arrêter à la station-service la plus proche. Ou encore sur les feux de signalisation, entre le feu vert et le feu rouge, là encore pour t’aviser que t’as intérêt à te préparer à freiner.
 
Je ne suis pas au boulot le vendredi, donc, à la maison aucune raison de se méfier de quoi que ce soit ni de qui que ce soit. La prise de conscience est brutale. Tu as baissé ta garde un moment, puis, tout d’un coup, tu te rends compte que tu n’es pas invincible et que tu ne contrôles plus ton environnement. T’as été le parfait poisson qui mord à l’hameçon la gueule grande ouverte. Quand j’y repense (et croyez-moi, ça arrive encore souvent) le gars au téléphone disait s’appeler Jean-Pierre Labonté et le «facteur», James Duffault! Lier les deux noms dans une même phrase, t’as le parfait running gag si ton cerveau est allumé, mais là, il était carrément grillé! Toasté des deux bords.

«Papa, pas toi?» Et ben oui! Moi! Et là commencent la litanie des «j’aurais donc dû!» Trois petits mots qui se bouscule en boucle dans ta tête… après les faits! Pas de retour en arrière possible. J’ai téléphoné à la police, reçu la visite d’un sergent et je l’ai accompagné au poste où était détenu un suspect de la vague d’arnaques qui sévissait à Lac-Mégantic depuis la veille. L’arrestation d’un suspect, au terme d’une surveillance policière et d’une vigilance accrue des commerçants, a mis fin aux agissements des arnaqueurs. Cette fois-là!

Au poste de la SQ, en fin d’après-midi, j’ai porté plainte et signé ma déposition. Et j’ai eu droit à la présentation de six ou sept photos d’un potentiel suspect. Les policiers et moi on n’est pas racistes. Du moins, je ne pense pas. Mais comment exprimer sur papier que le gars au téléphone est peut-être bien associé au type de couleur qui n’est pas le blanc, qu’il parle comme le ferait un «individu de race étrangère, probablement originaire d’une île au large de la côte américaine secouée voilà pas si longtemps par un violent tremblement de terre», que son complice Duffault cachait, avec son capuchon sur la tête, des traits genre foncés pâles, sans tomber dans la discrimination systémique? On a convenu, d’un commun accord, de dire du gars au téléphone qu’il avait un accent «afro francophone» et du «facteur», qu’il était de type «moyen-oriental». C’est ce dernier qui s’est fait pincer. 

Le facteur, par sa présence physique sur les lieux du crime, a mille fois plus de risques de se faire coincer que le Labonté au téléphone qui peut appeler de n’importe où. Et comme je n’avais pas l’autorisation de voir le suspect «de visu» dans sa cellule pour l’identifier formellement, on m’a aligné sur le bureau de la salle d’interrogatoire six peut-être huit photos de types foncés pâles, avec pour mission de trouver le bon! Je pense avoir réussi l’examen, puisque I.L. s’est retrouvé au palais de justice le printemps dernier, pour répondre à l’accusation suivante: «le ou vers le 16 décembre 2022, à Lac-Mégantic, district de Mégantic, par la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif, a frustré Caisse populaire et Rémi Tremblay d’une somme d’argent, d’une valeur ne dépassant pas 5000$, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l’article 380 (1) b) (ii) du Code criminel». Et dans cet autre dossier: «… a utilisé une carte de crédit, qu’il savait avoir été obtenue, fabriquée ou falsifiée par suite de la commission d’une infraction au Canada.» Il était prévu que mon facteur se présente devant la justice le 8 février, mais I.L. ne s’est pas pointé, finalement. Un mandat d’amené a été lancé contre lui. Il a probablement changé de nom et est parti de son logement de la 19e avenue à Montréal sans laisser d’adresse au «vrai» facteur. Tant pis pour lui, j’espérais pouvoir lui expédier par la poste une carte d’anniversaire pour ses 34 ans, le 22 juillet! J’attendrai son retour en cour pour la lui remettre, si les policiers finissent par le rattraper.

En attendant, les arnaques continuent. Ça vient par vague. Et la dernière en liste, pas plus tard que la semaine dernière, les 22 et 23 juin. D’autres personnes du coin ont reçu l’appel de Labonté, ou d’un de ses semblables, leur répétant exactement le même scénario.

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