Prise 2

Concernant le débat sur la reconstruction de la rue Frontenac, jusqu’à présent, on a évité le clivage jeunes-vieux, même si on a opposé le passé à l’avenir. J’en suis venu à douter de mon point de vue parce qu’il y a quelque chose de séduisant dans l’idée d’un centre-ville piétonnier. Mais, vous le devinez, je ne vois toujours pas comment une rue plus large pourrait nuire à son usage piétonnier.

Si on nous donnait un aperçu des mesures de la chaussée et des trottoirs, nous aurions tous les mêmes références. Actuellement, nous avons Papineau et ce qui a été réalisé devant l’hôtel de ville comme point de comparaison. Est-ce suffisant? Curieusement, les aires de stationnement devant l’édifice de la MRC ne semblent pas déranger ceux qui ne les veulent pas en amont sur la même rue Frontenac. J’en conclus que nous avons une opinion à géométrie variable, à moins que les administrations locale et régionale soient exclues du cœur de la ville.

J’ai utilisé l’argument patrimonial (rue large) parce que le passé n’est pas nécessairement un déchet honteux condamné au tabula rasa ou au déni. C’est même l’assise sur laquelle l’avenir se construit. C’est vrai pour l’Europe entière : son histoire, son architecture, ses musées et ses traditions sont la base même de son avenir parce que la diversité et l’authenticité sont des atouts. Réalisez-vous que nous n’aurons rien gardé de notre histoire, sauf le train maudit? Pas vraiment de quoi être fiers.

J’aimerais revenir sur le texte «--Difficile équilibre» de Sébastien Labbé, dans lequel l’auteur retournait, avec intelligence et habileté, mes arguments. Tu t’en doutes, Sébastien, je vais ajouter quelques bémols à la partition. Tu soulignes « une certaine banalisation des Champs-Élysées. » Pourtant, la rue Frontenac, même entièrement piétonnière, n’en est pas à l’abri parce que la plupart des commerces sont déjà relocalisés, parce qu’il y a très souvent un écart entre le plan proposé et la réalité. Quand la construction d’un édifice tire à sa fin, les promoteurs manquent souvent d’argent à cause des imprévus et sacrifient alors la personnalité de l’immeuble. La rue Frontenac pourrait très bien devoir accepter une boutique de cossins baroque, un Pizza Hut à l’architecture standardisée à côté d’un « Lambrequin » endimanché. Adieu donc l’image proprette que nous nous imaginons.

En ce qui concerne « les ronds-points géants de Paris » qui deviennent des places comme pourrait l’être une rue Frontenac épanouie, tu sembles oublier qu’il y aura, sur le site des Chevaliers-de-Colomb, une place publique qui donnera sur le boulevard. On réfère volontiers aux ateliers « Réinventer la ville », mais on passe sous silence le fait qu’il n’y avait pas de consensus concernant l’éviction des propriétaires ni de consensus sur « l’érection » d’un hôtel sur le boulevard. Comment a-t-il pu migrer du site actuel de la MRC jusqu’au coin de Thibodeau et des Vétérans? Mystère et boule de gomme.

L’argument AVENIR est une illusion en ce sens que nous n’en savons pas grand-chose, sauf que c’est un présent en évolution. Pour y participer, rien de mieux que de garder la porte ouverte et un minimum de prévoyance. Généralement, c’est l’espace qui manque, pourquoi se le refuser si les choses sont appelées à évoluer? Détail intéressant, une rue Frontenac étroite risque de sortir l’église de l’axe de la rue. L’ancien et le moderne cohabitent souvent avec bonheur. Ils confèrent un cachet dont nous aurions tort de nous priver. Comme on a investi une somme importante pour l’éclairer, ce serait dommage de ne pas la mettre en valeur le plus largement possible.

Sébastien, tu affirmes que les stationnements pourraient avoir « d’autres utilités plus utiles ». Pour ça, il faudra qu’ils subsistent. Supposons qu’on interdise de se garer pendant six mois, les aires de stationnement pourraient servir au marché public en attendant qu’il trouve un toit, à la vente trottoir, laissant ainsi tout l’espace-piéton aux citadins, à un théâtre de marionnettes ambulant, aux musiciens de rue si on a eu la sagesse de prévoir des prises de courant dans le mât des lampadaires, etc. La vocation piétonnière garderait alors tout son sens parce que les trottoirs ne seraient pas encombrés de kiosques. Les stationnements ont aussi une autre utilité : ils permettent aux services d’entretien et d’urgence (ambulances, voitures de police, nacelle ou autre camion de la voirie) de faire leur travail sans créer un bouchon de circulation.

Argument pratico-pratique : si la rue Frontenac, c’est Papineau sans les stationnements, que fait-on avec la neige avant qu’elle ne soit ramassée? Quand le chasse-neige passe, il la laisse en bordure ou sur le trottoir? Où la chenillette pousse-t-elle la gadoue? Comment survivront alors les arbres plantés dans le banc de neige? La piste cyclable servant de tampon entre l’auto et le piéton, qu’arrivera-t-il de l’autre côté s’il n’y a pas de stationnement? Les voitures en mouvement longeront le trottoir, augmentant ainsi le risque de heurter un enfant turbulent qui aurait mis le pied sur la chaussée. Même si on décidait d’interdire le stationnement à l’année, gardons ces espaces qui nous facilitent la vie. Sans compter qu’une rue plus large permettrait de concentrer l’animation entre la rue Thibodeau et le boulevard Stearn. La fête y gagnerait en efficacité et en atmosphère et ce, sans trop perturber le va-et-vient.

En conclusion, le Conseil pourrait ouvrir la séance du 19 janvier par une période de questions sur ce seul point. Si la salle n’apporte rien de neuf, le conseil rendra sa décision sur le champ; s’il hésite, il pourra la retarder de 48 heures afin de soupeser les éléments nouveaux. Il fera connaître sa décision par les médias ou lors d’une séance extraordinaire. Vivement, un centre-ville convivial et polyvalent.

Paul Dostie
Lac-Mégantic

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