Transport de pétrole: a-t-on retenu la leçon?

L’approbation des pipelines étant suspendue — à la suite du refus du projet Keystone XL, de l’avortement du projet Northern Gateway et des grandes difficultés éprouvées dans le cadre des projets d’Énergie Est et de Kinder Morgan — les options de l’industrie pétrolière sont de moins en moins nombreuses. Malgré l’effondrement des prix du pétrole, la production devrait tout de même augmenter à mesure que les projets relatifs aux investissements existants voient le jour. Particulièrement à court terme, on cherche d’autres façons de transporter le pétrole brut de l’Ouest canadien vers le marché.

L’Association canadienne des producteurs pétroliers estime que le transport ferroviaire du pétrole passera de 200 000 barils par jour en 2015 à un niveau de 500 000 à 600 000 barils par jour d’ici 2018, ce qui correspond à une quantité potentiellement trois fois plus grande. Ainsi, un nombre encore plus grand de trains pétroliers circulera dans des localités peuplées de l’est et de l’ouest du Canada, ainsi que vers le sud jusqu’aux États Unis.

Il y a moins de trois ans survenait l’accident tragique causé par un train pétrolier à Lac-Mégantic. Le transport ferroviaire du pétrole est-il maintenant suffisamment sécuritaire pour empêcher un autre accident comme celui de Lac-Mégantic? Les mesures prises pour améliorer le système de sécurité ferroviaire et rétablir la confiance du public sont-elles adéquates? L’infrastructure ferroviaire existante peut-elle assurer de façon sécuritaire le transport du volume actuel de marchandises dangereuses, sans parler de la croissance prévue?

Selon moi, la réponse à ces questions est non! En voici les raisons :

Premièrement, après l’accident, le gouvernement a rapidement mis hors service les wagons-citernes qui présentaient le plus grand danger, et la mise hors service des autres wagons dits traditionnels est prévue d’ici le 1er mai 2017. Toutefois, l’hiver dernier, deux déraillements distincts de trains du CN près de Gogama, en Ontario, mettaient en cause des wagons-citernes récemment mis à niveau, mais qui se sont tout de même perforés, et dont le contenu a été déversé et qui ont explosé; ces wagons transportaient du bitume dilué de l’Alberta. Un de ces accidents est survenu à une distance dangereusement rapprochée de la ville. Un nouveau modèle de wagon « super renforcé » a été approuvé pour l’Amérique du Nord, mais il ne sera pleinement mis en service qu’en 2025. D’ici là, une grande portion de pétrole volatil continuera d’être transporté dans des wagons-citernes dangereux.

Deuxièmement, avant Lac-Mégantic, Transports Canada n’a ni inspecté ni vérifié la volatilité du pétrole de Bakken en dépit des données qui montrent que ce pétrole est régulièrement mal classé en tant que marchandise à faible volatilité. Sans égard au problème de classement erroné, il n’existe toujours aucune réglementation au Canada et aux États-Unis qui exige l’extraction des composantes volatiles du pétrole de Bakken ou du bitume avant son chargement sur les trains.

La Liste de surveillance de 2014 du Bureau de la sécurité des transports indique que le transport de liquides inflammables pose un risque pour la sécurité ferroviaire: « étant donné la vulnérabilité des wagons-citernes utilisés pour transporter de tels produits, […] les méthodes d’exploitation actuelles des compagnies ferroviaires ne permettent pas d’atténuer efficacement le risque que représente le transport de grandes quantités de liquides inflammables par rail».

Troisièmement, après l’accident, Transports Canada a immédiatement décidé d’infirmer sa décision précédente de permettre à toutes les compagnies ferroviaires qui le voulaient de n’utiliser qu’un seul employé pour faire rouler leurs trains de marchandises (y compris un employé ayant un dossier de sécurité effroyable) sans devoir répondre à un certain nombre de critères pour obtenir une exemption.
Cette décision, qui était incroyablement irresponsable, suggère que des lobbyistes de l’industrie ayant une aversion pour la réglementation exerçaient une mainmise sur cette réglementation et que certains bureaucrates de haut niveau et complaisants faisant les quatre volontés de leurs maîtres politiques ont plié en ce qui concerne le démantèlement de règlements qui éliminaient silencieusement des emplois. Ce système apparemment compromis doit être remplacé et l’indépendance de l’organisme de réglementation doit être assurée.

Quatrièmement, Transports Canada n’a pas réussi à régler les problèmes majeurs relatifs au régime réglementaire de son système de gestion de la sécurité (SGS) qui ont été soulignés à maintes reprises par le vérificateur général. Le SGS devait servir de complément à la supervision réglementaire traditionnelle, mais sans l’octroi des ressources adéquates, les entreprises établissaient en réalité leur propre réglementation et jugeaient elles-mêmes les risques en fonction des profits. La Liste de surveillance de 2014 du Bureau de la sécurité des transports indique que le SGS fait partie «des enjeux qui font courir les plus grands risques au système de transport du Canada».

Enfin, les ressources consacrées aux divisions Transport de marchandises dangereuses (TMD) et Sécurité ferroviaire de Transports Canada demeurent lamentablement insuffisantes pour faire face au transport de pétrole brut. Les budgets de ces divisions de Transports Canada ont été gelés ou réduits au cours des cinq dernières années. D’après les documents sur les plans et priorités pour 2015 2016 (les derniers documents produits par le gouvernement Harper), les dépenses associées à la supervision de la sécurité ferroviaire devraient diminuer de 20 % d’ici 2017-2018.

En campagne électorale, les Libéraux ont pris l’engagement suivant auprès du groupe de citoyens Safe Rail Communities et d’autres groupes : «nous renforcerons la réglementation gouvernementale en matière de transport de matières dangereuses par voie ferrée, nous veillerons à son respect et doterons Transports Canada du financement et des ressources nécessaires pour embaucher et former un nombre adéquat d’inspecteurs de la sécurité ferroviaire pour exercer une surveillance adéquate du secteur». Le prochain budget fédéral nous en dira plus sur les plans du gouvernement relativement à cet engagement.

Les Libéraux se sont aussi engagés à faire des investissements majeurs dans l’infrastructure. Les maires des villes ont demandé que de nouvelles voies ferrées soient construites afin de contourner les secteurs à forte densité de population. La mise en œuvre de ce projet devrait être prioritaire, à commencer par Lac-Mégantic, où la population l’exige.

Le nouveau gouvernement, même s’il a de bonnes intentions, ne doit pas être induit à penser que des améliorations fragmentaires aux règlements suffiront. Une réforme systémique est requise pour obtenir l’acceptation sociale que le premier ministre promet. Il faut également convaincre les citoyens qui demeurent sceptiques que les leçons de Lac-Mégantic ont été apprises et que le transport ferroviaire du pétrole dans les secteurs à forte densité de population est sécuritaire.

Bruce Campbell est le directeur général du Centre canadien de politiques alternatives. Il a reçu une bourse de recherche en justice sociale de la Fondation du droit de l’Ontario; il est actuellement chercheur invité à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

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