Histoire «alternative»!

Le manuel d’histoire de ma petite école était sans doute écrit par les Frères des écoles chrétiennes. Les années 50. Je garde encore en tête les dessins qui accompagnaient les textes sur l’arrivée des premiers colons en terre de Nouvelle-France. Une image est restée gravée dans ma mémoire. Voilà le topo: des défricheurs, penchés sur des troncs à arracher du sol, l’air anxieux, le regard tourné vers la forêt où, on le devine, un Iroquois se cache derrière chaque arbre. Le mot «terroriste» n’existait pas, mais la «terreur», oui! Elle nous était enseignée envers l’étranger, le fameux sauvage qui, pourtant, était celui qui se faisait envahir dans son propre pays. C’est fou quand même les histoires qu’on pouvait nous enfoncer dans nos têtes d’enfants, avec des images pour 18 ans et plus, très colorées, et qui devaient sans doute représenter les «faits alternatifs» d’une autre époque, où les missionnaires faisaient office de journalistes. Pour les faire taire, les «maudits sauvages» avaient inventé la formule des «5 à 7», avec, comme amuse-gueules, missionnaires cuits sur charbon de bois!

Le monde change! Aujourd’hui, ils sont nombreux les Québécois qui se cherchent des racines amérindiennes pour obtenir leur carte et les privilèges qui vont avec. Et les Autochtones n’aiment pas vraiment ça que tu puisses évoquer un lien de sang avec les Premières nations juste parce qu’un de tes lointains aïeux s’est trouvé une indienne travaillante et bonne à marier. On grimpe les arbres généalogiques pour essayer d’en cueillir quelques-unes de ces femmes précieuses dans les branches, le plus souvent sans succès.

Le monde change tellement que, presque quatre cents ans plus tard, c’est nous, les «de souche», qui, à notre tour, épions de l’intérieur de la maison les étrangers qui passent dans la rue ou ceux qu’on côtoie dans nos milieux de travail. Il faut le dire, l’enseignement de l’histoire aux générations des aînés a été un total échec. On s’en ressent encore aujourd’hui de cette différence entre ce qui était enseigné aux Canadiens anglais et aux Canadiens français. On n’enseignait pas au Canada anglais la même histoire qu’au Canada français, voilà tout. C’est nous autres, ceux de la grande famille des «de souche» à laquelle se réclame notre extrême-droite!

Au lieu de nous auto-flageller sur la place publique et de nous frapper la poitrine à coups de mea culpa à Tout le monde en parle quand un événement «raciste» comme l’attentat à la grande mosquée de Québec survient, déterrant du même coup toutes nos souffrances identitaires, informons-nous, renseignons-nous, éduquons-nous! Cette peur de l’autre, cette méconnaissance de l’autre s’inscrit profondément dans nos gènes.

Cet échange, datant des années 50, entre un évêque et un universitaire venu d’Angleterre pour discourir du besoin d’un manuel d’histoire du Canada unique à travers le pays, comme il n’en existait pas à l’époque, est révélateur de ce clash entre l’instruction catholique et l’instruction «anglaise» hors Québec qui ont forgé nos deux cultures. Écoutons l’universitaire: «Mes vues sur le problème d’un manuel unique d’histoire du Canada pour toutes les écoles du pays? Comme je ne me reconnais pas de compétence particulière en un tel sujet, du point de vue technique, je me contente de vous répondre simplement ceci: je suis pour le libre jaillissement de la vie et de l’esprit, non pour leur standardisation; je suis pour le plein épanouissement de la personne humaine dans et par son premier milieu naturel d’abord, non pas pour son enrégimentation par les bureaucrates ou sa fabrication en série par les techniciens.» «Quel sera l’esprit qui guidera ce système d’éducation», questionna le prélat à l’envoyé des universités d’Angleterre ? «Ce sera, dit l’universitaire, un système qui formera des hommes sans préjugés». De demander l’évêque avec humour : «Qu’est-ce qu’un homme sans préjugé ? S’il s’agit de nous former des hommes qui ne tiennent ni à leur religion ni à leur nation, nous refusons. Nous sommes pauvres, mais avec le temps, nous nous pourvoirons!» Notre lointaine éducation a semé la haine et la peur de l’autre, avec les mêmes résultats que ceux qui ont prêché l’ignorance de l’autre.

C’est triste aujourd’hui que nos différences se traitent par l’agressivité, avec tendance à se barricader chez soi et à nourrir ses amertumes et ses ambitions. Une autre solution, politique celle-la, voudrait qu’on se vide de nos convictions profondes pour mieux cesser de se haïr.

La troisième et sans doute la plus adaptée au Québec d’aujourd’hui, le vivre ensemble qui passe par le pluralisme: s’enrichir de l’autre plutôt que l’accepter sans discernement. «Accepter les fois divergentes comme un fait. Il ne demande pas, pour que deux amis s’entendent, que l’un et l’autre croient un peu moins à ce à quoi ils croient. Prendre les hommes comme ils sont, avec leur passé, mais de savoir se dépasser, se rencontrer par-dessus et non en-dessous de leurs différences. Sinon, on cherche des solutions convenables à tout le monde, mais utiles à personne.»

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