«Un parc, un lac»: quelques bémols, un silence

Le projet d’animation «Un parc, un lac» veut faire de notre ville une destination touristique, ce qu’elle a été dès 1878. On venait de Sherbrooke, Montréal, Québec, Toronto et Boston pour jouir d’une nature généreuse. Les plus riches venaient en villégiature autour des lacs Mégantic et des Araignées (club Macanamac 1887) tandis que les autres, après avoir passé la journée à la baie des Sables, reprenaient le train pour retourner à Sherbrooke ou descendre le long du chemin. La fin de la semaine, le Lena et le Jubilee transportaient leurs passagers que les musiciens à bord égayaient avant qu’ils ne débarquent au quai des Trois Lacs ou à Piopolis. Ce qui attirait tout ce beau monde, c’était la nature dans toute sa pureté. C’était là, donné, sans le boulet des dépenses faramineuses.

Je me réjouis de l’aménagement et de l’animation de l’allée piétonnière jusqu’à la «Place des artistes» parce que le projet nous amène au parc comme destination ultime. Les promoteurs reconnaissent ainsi la beauté du lieu; malheureusement, ils souhaitent maquiller ses atours.

C’est là que je décroche. «Le parc des Vétérans est méconnaissable avec son grand hall et son cinéma aux multiples facettes», citait L’Écho. À une époque où on se soucie de sa santé et évite les aliments transformés, on proposerait à nos visiteurs un produit naturel dans un sac de cellophane?

Le parc, le lac et nos montagnes constituent notre richesse naturelle, pourquoi chercher à les vendre emballés et ce, pour un plat de lentilles parce que tout aussi captivant qu’il soit, le spectacle multimédia devra, tôt ou tard, être renouvelé. Il faudra alors réinvestir, engager d’autres spécialistes, entretenir et recommencer quand la nature nous offre la permanence au lieu de l’éphémère, l’authentique au lieu de l’artifice et la gratuité en cadeau. La parade multimédia ne sera qu’un spectacle québécois parmi tant d’autres où la robe compte plus que la personne. Cet été, nous avons demandé à une femme d’affaires des Îles de la Madeleine ce qu’il ne fallait pas manquer aux Îles. Celle-ci nous a répondu, sans la moindre hésitation, la nature: le spectacle est là! Pourtant, même si c’est le bout du monde, même si on paie une fortune pour prendre le traversier, on y vient de partout pour ne rien faire d’autre que marcher sur ses plages, regarder le soleil plonger dans la mer et jaser avec des gens accueillants.
Est-ce bien ce que nous voulons un lac en fête, l’été durant? N’oublions pas que nous planifions un centre-ville habité. Comment une ville endettée jusqu’aux oreilles, une ville qui ne déneige qu’un trottoir sur deux, espace la tonte de ses gazons et économise sur la surveillance de la plage de l’O.T.J., comment peut-elle envisager cette mise en scène d’autant plus que nous ne sommes plus dans l’offre de ce que nous sommes mais dans la représentation, non plus dans la culture mais dans le divertissement?

Autre bémol. A-t-on réalisé que le parc des Vétérans est le dernier vestige de notre patrimoine urbain? Après la catastrophe du 6 juillet 2013, la destruction du reste de la rue Frontenac et les expropriations, ne croyez-vous pas qu’il y a des limites à se raturer soi-même? Partout ailleurs, aux États-Unis comme en Europe, on protège comme la prunelle de ses yeux le moindre élément patrimonial, même dans une décrépitude avancée, parce qu’on a compris qu’il n’y a pas d’avenir sans un passé sur lequel bâtir. Chaque individu en est la preuve vivante.

Prenez l’exemple de Saint-Sébastien. Plus vraiment de granit sur place, mais un savoir faire transmis d’une génération à l’autre. Une économie prospère. En ce qui concerne le parc des Vétérans et l’O.T.J., il faut souligner la sagesse de ces élus qui ont vu plus loin que la seule collecte de la taxe foncière. Ils auraient pu laisser lotir ces terrains riverains et ainsi emmurer la ville pour toucher le « cash ». Par leur choix éclairé, ils ont contribué à faire de notre ville une belle ville qui donne le goût de s’y installer. Je suis greeter et quand j’entre dans le parc avec mes visiteurs, je les entends parfois dire : « Maudit que c’est beau! Je veux venir vivre ici.»

Faites-en l’expérience : entrez dans le parc par une des extrémités, tôt le matin ou en fin de journée quand les ombres longues lèchent le sol, vous allez avoir l’impression d’entrer dans le paysage. Si vous avez gardé le lac à votre droite, quand vous tournerez la tête, c’est le paysage qui vous entrera dedans. Bonheur fugace mais profond. Je suis convaincu que le parc des Vétérans et l’O.T.J. ont rapporté bien davantage que l’impôt foncier supputé. À ce compte là, la Ville devrait récupérer le lot riverain de l’ancienne coopérative agricole pour l’offrir aux citoyens du secteur Agnès afin qu’ils aient, eux aussi, un point de rencontre à proximité, un accès au lac. Sur d’Orsennens, les citoyens auraient en plus une vue sur leur ville: rien de mieux pour développer un sentiment d’appartenance.

Nous travaillons à réparer les erreurs du passé, à tourner la ville vers le lac parce que nous avons besoin d’un repère qui nous situe dans le temps et l’espace, d’un lieu d’hier et de demain. Au Québec, il y a de moins en moins de véritables lieux de villégiature. La plupart ont été contaminés par la surexploitation. Nous avons entre les mains un joyau unique. Si nous savons le préserver, il nous vaudra une activité touristique respectueuse, répartie sur toute l’année. Nous serons alors tous gagnants. Pour ça, il nous faudra être vigilants et patients, sinon le risque est grand de spolier l’héritage. Heureux hasard, le 27 septembre, Catherine Perrin, sur les ondes de Radio-Canada, se demandait si le silence n’était pas devenu une destination. Avouez qu’il y a là matière à réflexion.

Idéalement, je retournerais l’hôtel sur Frontenac afin qu’il contribue à véritablement lancer le centre-ville. Il n’a pas besoin d’être sur le boulevard parce qu’il risque d’y faire plus de tort que de bien. Je permettrais aux Chevaliers de Colomb de reprendre leur oeuvre philanthropique et je laisserais le parc à sa vocation, celle d’une île dans la ville. Il ne faut surtout pas le réduire à un décor mais qu’il soit un refuge, un cadeau que l’on se fait en y entrant sur la pointe des pieds. Les Méganticois ont beaucoup sacrifié à l’économie depuis le grand déraillement, ce serait bien d’espérer de ce côté-là un retour d’ascenseur, une forme tangible de compassion. Après tout, nous sommes d’abord une communauté avant d’être des consommateurs.

En voyage, ce sont nos découvertes qui font nos souvenirs parce que, c’est triste de le dire, ce que le guide touristique montre –souvent déformé par la lentille- est considéré comme un acquis. Nous sommes déjà ailleurs, à la recherche de l’inédit ou de l’événement fortuit qui fera de notre séjour quelque chose d’unique. Il faut, par exemple, que le parc soit une découverte personnelle, autre chose qu’un brouhaha touristique. C’est ainsi qu’il deviendra un réel atout.

Finalement, il y a une faille dans le projet malgré ses bonnes intentions, un silence gênant: que fait-on de la «calvaire» de voie ferrée? Si nous ne la sortons pas de là, il n’y aura jamais plus de centre-ville parce que les ingrédients n’auront pas été incorporés les uns aux autres dans le grand bol. Oubliez la recette et les recettes au tiroir-caisse. Papineau ne restera qu’un centre commercial un peu fade; Frontenac, qu’un souvenir et Fatima, toujours de l’autre côté du talus. Nous avions un centre-ville, nous avons le devoir de nous assurer que le suivant ne sera pas mort-né. Mégantic étant le plus petit territoire de la M.R.C., enclavé en plus, il nous faut à tout prix remplir le trou de beigne si nous voulons que la pâte lève, que le centre-ville renaisse. Si nous échouons, ce n’est pas de l’animation mais de la réanimation à répétition qu’il nous faudra planifier. Ce bout de chemin là nous appartient, c’est à nous d’y travailler parce que, généralement, les politiciens n’avancent que poussés dans le dos. Ce n’est pas le commerce que nous devons d’abord sauver, mais le centre-ville habité. Une fois peuplé, le commerce pourra alors récolter les fruits d’une qualité de vie qui se partage.

Paul Dostie

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