Turn on, tune in, drop out !

Voilà, ça y est, après mures réflexions qui ont duré à peu près toute ma vie, ma décision est prise: je ne veux pas devenir vieux. Je m’y refusais, je m’y refuse et je m’y refuserai jusqu’à mon dernier souffle.

Parce que c’est à rendre fou toutes ces histoires, tous ces reportages, tous ces bulletins de nouvelles, toutes ces conférences de presse avec les caméras braquées sur les murs extérieurs de ces milliers de foyers où vivent nos aînés.

Cette peur viscérale de devenir vieux m’est venue jeune. Quand je faisais mes «humanités», la lecture du Cid de Corneille m’avait envoyé un signal fort venu de l’au-delà: allez va, vis longtemps et, si tu peux, vis éternellement. Le monologue de Don Diegue dans l’œuvre de Corneille (Pierre Corneille, pas le chanteur) avait de quoi venir te hanter plus encore que le film Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock.

«Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie; n’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie?  (…) Mon bras qu’avec respect tout l’Espagne admire, qui tant de fois a sauvé cet empire, tant de fois affermi le trône de son roi, trahit donc ma querelle et ne fait rien pour moi? (…) Mourir sans vengeance ou vivre dans la honte?»

Ô rage, je l’ai sentie comme vous tous dans les heures qui ont suivi ces révélations que des aînés dans une résidence privée de Dorval étaient morts à la chaîne faute d’interventions, faute de soins, faute de tout. Et la société de prendre le blâme et de se frapper la poitrine: «Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa!» Morts, seuls au monde, non pas dans l’isolement d’une île perdue quelque part au milieu de l’océan, mais bien dans des cages de luxe offertes sous bail contre un versement de 3 000$ à 10 000$ par mois. À quel prix ça se loue la dignité, dites-moi? Et qui en a vraiment les moyens?

De quoi je me plains? Je n’ai pas 70 ans, après tout. Ici, au Québec, la génération «ségrégationnée» est celle des 70 ans et plus. Dans certains pays d’Europe, en Suisse, par exemple, les experts du temps partent la catégorie des gens bons pour l’internement (ou appelez-le le confinement) à 65 ans. Ouf, je l’ai échappé belle!

Oui, je la comprends la pandémie, oui j’en suis conscient des mesures sanitaires, mais je rage quand même de cette liberté sous surveillance pour celles et ceux qui ont, il y a peut-être 60 ans, connu la contre-culture du « turn on, tune in, drop out !»

Marshall Mc Luhan, dans une entrevue à un magazine avant sa mort en 1980, disait: «L’homme électronique (ça c’est l’homme devant son téléviseur pas encore devant son écran d’ordinateur), en termes d’expérience et de connaissance, vit des centaines d’années de vie normale en un temps très court. Aujourd’hui (et rappelez-vous que c’était dans les années 70 que Mc Luhan disait ça) un enfant de 12 ans est plus vieux que Mathusalem en termes d’expérience. Imaginez que la médecine nous dise demain que désormais, tout le monde vivra 200 ans. Qu’arriverait-il à l’homme et à la société ? La plupart des gens deviendraient fous! Or, c’est exactement ce qui arrive actuellement, si l’on tient compte de l’extrême vitesse du mouvement de l’information. Tous les dix ans, nous vivons des centaines d’années, et nous n’avons pas d’institutions qui nous permettent d’utiliser cette nouvelle expérience. Et nous devenons fous. Le monde entier, d’une certaine façon, est un asile d’aliénés, un hôpital psychiatrique, quand chaque homme est plusieurs fois centenaire, qu’il connaît toutes les cultures de la terre, qu’il est allé partout, eh bien, le petit espace qu’on appelle «sa maison» ou «sa ville» n’est plus qu’une prison.»

«Allumez, écoutez, abandonnez» résumait l’essentiel du message de la contre-culture. «Drop out», ça se traduit aussi par le détachement. Mc Luhan était un visionnaire: «Un drop-out n’est pas une personne qui décide d’abandonner son travail, c’est une personne qui découvre que son job n’existe plus. Il y a un tel changement dans les situations, dans les motivations, dans les perspectives, dans les relations au travail et les relations avec les autres, qu’aucun des vieux jobs ne tient plus, que rien ne tient plus.»

Au pays, ces temps-ci, il y a des millions de drop out forcés, victimes du shutdown et du lockdown. Et des millions qui se questionnent, en tournant en rond comme des hamsters dans leur cage, sur l’avenir du monde. Heureusement, ils ont les réseaux sociaux pour se révéler. Et chaque histoire, chaque situation individuelle, chaque activité prend soudain une importance qui n’existait pas avant.

Le wi-fi te souffle à l’oreille : «Tu ne sera plus jamais seul, mon fils!» Sauf que les «vieux» n’ont pas tous la connexion internet. Eux autres, des centaines d’années d’expérience de vie les séparent avec la génération de leurs petits-enfants.

Vite, dites-moi, elle est où cette île au milieu de l’océan où Tom Hanks a joué sur la plage avec un ballon comme seul compagnon? Là, la seule réponse que j’entends dans ce silence assourdissant: «ta» maison est «ton» île, alors restes-y! Ô désespoir!

 

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