Moment de recueillement sur l’heure du midi. L’envolée des 47 coups de cloche imposant un temps de silence des deux côtés de la voie ferrée où s’étaient regroupés de part et d’autres ceux qui réclament toujours justice huit ans après la tragédie et les porteurs de projets d’avenir.
La PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, en conversation avec une citoyenne, Liette Duquette.
Devant le poste électrique du microréseau, dans l’ordre habituel: Éric Fillion, vice-président exécutif - Distribution; derrière lui le député de Mégantic François Jacques; le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonathan Julien; la mairess
La Nation abénaquise était bien représentée.
Des fleurs pour réclamer justice.
Fleurs en main pour le départ de la marche.
Jean Clusiault prenant la parole devant les manifestants.
Toujours à la croisée des chemins, huit ans plus tard.
Symbole d’une mobilisation pour faire cesser le transport du pétrole par Lac-Mégantic.
La voie pavée de fleurs sauvages.
Fleurs fragiles mais un message fort.
Manifestants en marche vers l’église Ste-Agnès.
Le message aux convois de pétrole : Vous ne passerez pas.
Colette Roy a signé sa pierre.
Venant du nord par la Marche du vent, les partisans d’un combat tous azimuts contre les énergies fossiles, faucheuses de vie. S’avançant du sud, par Frontenac, la procession protocolaire des porteurs d’une vision ambitieuse d’une ville désormais classée «intelligente» avec la présence du microréseau d’Hydro-Québec et la transition énergétique dans leur coffre à outils. D’un côté de la voie ferrée, le nouveau centre-ville plante le décor du progrès, où le temps semble s’être arrêté. À midi pile, les 47 coups de cloche à la mémoire des victimes du 6 juillet 2013 marquent l’armistice.
Toujours à la croisée des chemins en cette huitième commémoration en souvenir des victimes de la catastrophe ferroviaire, deux mondes se détachent distinctement, alors que les familles des victimes se recueilleront plus tard en soirée à l’intérieur de l’église Sainte-Agnès.
Le Centre sportif est en territoire partagé. D’un côté, les groupes de revendication qui continuent de réclamer l’arrêt du transport de pétrole en transit par Lac-Mégantic et une enquête publique indépendante sur la tragédie de 2013, et de l’autre, le grand événement attendu, l’inauguration par la PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, du tout premier microréseau électrique au Québec issu de l’énergie solaire.
Invité par la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire à Lac-Mégantic, le chef Gilles O’Bonsawin accompagné de représentants de la Nation abénaquise est fidèle à lui-même. Pas de discours préparé. Il est venu rendre hommage, espoir et soutien à la communauté de Lac-Mégantic, en terre abénaquise non concédée. Soulignant «l’effort de reconstruction assise sur les ruines de la vérité», le chef insiste: «Je ne peux pas croire que le train y roule encore.» «La tragédie l’a énormément ébranlé», traduit la militante Anne-Marie Saint-Cerny, auteure du livre «Mégantic : une tragédie annoncée. Des pertes de masse, des deuils, il en a vécu dans sa vie personnelle, «à cause des ferroviaires et des grandes corporations.» Sa prédiction: «On ne saura jamais la vérité et c’est une tragédie ; c’est arrivé une fois, ça ne doit plus jamais arriver mais ça va arriver.»
«Justice n’a pas été rendue», répète le porte-parole de la Coalition, Robert Bellefleur, en ajoutant : «Il faut que Transports Canada redevienne le véritable chien de garde de la sécurité!» Les manifestants sont venus d’un peu partout avec des fleurs sauvages à la main. La Coalition refuse de s’avouer vaincue par le progrès claironné sur écran géant à quelques dizaines de mètres plus loin. Surtout que l’un des membres du groupe est en contact direct avec une Coalition citoyenne qui vient à peine de naître à Chicago, dans le contexte de l’achat par le Canadien National de la Kansas City Southern Railway, et que le passage d’une vingtaine de blocs trains par jour, dans la banlieue, secoue les murs de maison et font peur aux habitants. Là-bas comme ici, les deux Coalitions se sont jointes au Sierra Club, le plus gros groupement environnemental en Amérique du Nord. Et le plus politiquement puissant.
Dans le camp des manifestants, le président du Fonds mondial du patrimoine ferroviaire, Denis Allard, révèle un détail qui avait échappé à toute surveillance dans l’après-tragédie, la voie ferrée au centre-ville a été reconstruire avec du matériel de moins bonne qualité. Ce qui a causé bien des ennuis et des failles dans l’infrastructure.
Toujours dans le camp des manifestants, Philippe Duhamel du Groupe Vigilance Hydrocarbure a une pensée pour «les vies sacrifiées sur l’autel du progrès.» Il marchera donc «le cœur lourd de ce qu’on a payé, mais le cœur joyeux des changements qu’on a pu opérer ensemble», dit-il à la petite foule. Sa grande déception: «que le gouvernement fédéral n’ait pas reconnu le caractère unique de Lac-Mégantic.»
Célébrations sous le chapiteau
Entre les manifestants et la tente des dignitaires encadrée sous haute sécurité protocolaire, le député François Jacques émet ce commentaire: «J’aurais préféré une commémoration plus sobre, en hommage aux victimes.» Avec l’envolée de cloches sur l’heure du midi comme seule activité commémorative, avant la messe en soirée. Le cirque médiatique court le spectacle et capture l’actualité du jour pour la télé.
Respect des consignes sanitaires oblige, le port du masque est obligatoire en tout temps sous le grand chapiteau dressé entre le Centre sportif et le poste électrique du microréseau protégé par un imposant grillage. Sur la scène, les personnalités qui prendront la parole s’alignent. Il y a là la PDG d’Hydro-Québec Sophie Brochu accompagnée de son vice-président exécutif – Distribution, approvisionnement et services partagés Éric Fillion, la ministre fédérale Marie-Claude Bibeau, qui quitte momentanément son chapeau de ministre d’Agriculture et d’Agroalimentaire Canada pour représenter son collègue ministre des Richesses Naturelles, le ministre d’Énergie et Ressources naturelles du Québec, Jonathan Julien, et la mairesse Julie Morin.
L’ambiance est plus à la fête que dans l’autre camp. Ici, on ne parlera pas de train ni de la voie de contournement ferroviaire qui se fait encore attendre. Ici, on assiste sur des chaises à l’événement Hydro-Québec, à la grand-messe de «la technologie au service des citoyens.» Si le soleil n’est pas au rendez-vous, les risques d’averses annoncés ont bel et bien été balayés par une autre énergie renouvelable, le vent.
Tous sont venus participer à quelque chose d’historique, le début d’une nouvelle étape, une ville tournée vers l’avenir, comme se plaît à répéter Julie Morin. La ministre Bibeau va, elle aussi, saluer le travail des «leaders qui ont imaginé une nouvelle ville tournée vers le futur.» Son gouvernement a contribué à hauteur de 5,2 millions de dollars à l’installation du microréseau «qui fait de Lac-Mégantic la première ville intelligente au Québec.» La preuve est faite, la croissance économique et la protection de l’environnement vont de pair. «Et ici, nous avons un avant-goût de cet avenir.»
«La ville de Lac-Mégantic a choisi de regarder vers l’avenir et c’est chose réussie», se réjouit de son côté le ministre Jonathan Julien, rappelant que le Québec se retrouve à une période importante de son développement, celle de la transition énergétique.
Mais c’est Sophie Brochu qui relèvera l’essence même de la journée: «L’énergie humaine est la plus belle forme d’énergie; elle se démultiplie!»
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