À l’attention du nouveau conseil municipal de Lac-Mégantic

Je ne m’attends pas à ce qu’on me réponde. Il me suffit de souhaiter que mon propos soit lu et que les idées soulevées fassent partie de la réflexion quand les dossiers arriveront sur la table de travail. Pour la suite, advienne que pourra. 

Nous sommes à reconstruire une ville ainsi que la confiance des gens à une époque où les réseaux sociaux tirent à hue et à dia, à une époque où l’argument victimaire exerce une forme de chantage. Qui plus est, à un moment crucial où nous devons repenser notre mode de vie suicidaire parce que nous avons atteint le point de non-retour. Rien de moins que la quadrature du cercle. 

Nous avons l’occasion de créer l’essentiel d’une ville que nous souhaitons unique, et ce, en moins d’une génération. Nos choix urbanistiques détermineront notre patrimoine bâti, lequel nous survivra. Ce sera notre signature parce que nous ne pourrons pas accuser ni le temps ni les autres. J’ai encore un maigre espoir pour la rue Papineau si on parvenait à coiffer le rez-de-chaussée des condos commerciaux d’un étage, à personnifier les unités et à sortir du brun de l’ennui; quant au boulevard des Vétérans qui a cédé son charme pour un plat de lentilles, je crains la suite.

Voilà pourquoi j’interviens avant qu’il ne soit trop tard. Lors d’un congrès d’urbanisme à Thetford, quelqu’un m’a fait remarquer que Mégantic était une très belle femme, mais avec de vilaines cicatrices. Il faisait allusion à la lourdeur du pont de fer de la voie ferrée, au barrage du contrôle des eaux et au viaduc qui cache Fatima comme si nous en avions honte. Pour lui, ce court espace est surchargé de barrières qui obstruent une vue qui pourtant assurerait la cohésion du centre-ville.

On a beau nous répéter de regarder devant, de voir plus loin; quand le train sortira du cœur de la ville, le moment sera venu de passer de la parole aux actes. Dans le cadre du recours collectif, sur les 39 millions, 19 devront être attribués à des projets significatifs. Il n’y a pas plus significatif que de se redonner un cœur de ville unifié parce que nous n’avons pas encore retrouvé ce que nous avons perdu. Faire disparaître le talus et le viaduc permettrait aussi d’assurer la sécurité de cette croisée des chemins.

Quelle ville peut se vanter d’avoir un lac plein les yeux et une rivière en son cœur? L’affreux pont des « chars » disparu, la rivière retrouvera sa dignité. J’imagine, sur le socle de béton au milieu de la rivière, une sculpture qui rende compte de notre histoire locale et de notre appartenance à la grande parce qu’il s’est passé ici des événements marquants. Ce serait une occasion de rentrer dans la mémoire en souriant. D’arriver à un équilibre.

Si en plus, on réussissait à redonner la rivière et ses berges aux Méganticois, en respectant l’écologie du milieu et les valeurs Cittaslow, nous aurions un centre-ville à nul autre pareil. Parler d’une ville habitée, c’est bien plus qu’une question de logement.

Quand la gare de triage sera libérée de ses rails, il faudrait éviter d’en faire un vaste stationnement asphalté, un triste désert. Il y a là une place publique à imaginer, espace qu’à travers le monde les mairies recréent ou se réapproprient. Ce pourrait être le lieu d’une animation originale d’autant plus que les services sont à proximité. Quelle surface lui réserver, quel esthétisme lui donner, quelle vocation adaptée aux saisons pourrait-on lui imaginer? Il faudrait prendre le temps d’y réfléchir, surtout ne pas succomber à l’appât du gain de l’impôt foncier de courte vue. Le lieu pourrait être autrement plus rentable, même financièrement.

Une capitainerie sur l’ancien site du Citron Vert, pourquoi pas; mais pas n’importe quoi ni n’importe comment. Il s’agit d’un site extraordinaire. Il faudrait presque voir au travers; il faudrait que l’idée de l’eau domine : ne pas se contenter de satisfaire le regard mais aussi l’oreille. Le clapotis et le tintement des voiliers y accentuent l’atmosphère des vacances, l’idée du bien vivre. Un peu comme la cloche de l’église qui rythme notre vie en comptant les heures. Surtout, évitons la musique tonitruante qui au lieu de nous amener ailleurs, nous maintient bêtement dans un quotidien aliénant.

On entend nos élus répéter avec ferveur : « Lac-Mégantic est une ville au service de ses citoyens. » C’est vrai, mais pas toujours. Si je compare la surveillance de la plage de la Baie-des-Sables à son absence à l’O.T.J., je me dis que le citoyen ne fait pas le poids face aux touristes. Ajoutez à cela le martyre de l’entrée à l’eau à cause du tapis de galets gluants. La baignade se fait vraiment à nos risques et périls. On pourrait y aménager un léger corridor sans hypothéquer l’équilibre écologique du lac; on tolère tout autour et sur le lac, dangers bien plus graves.

Un mot à propos du parc des Vétérans, notre joyau. Petit à petit, il perd son charme. La végétation envahissante accrochée à la clôture bloque la vue sur la beauté du monde dont nous avons pourtant bien besoin. C’est pour le moins frustrant. Il ne s’agit pas de l’éradiquer ni de l’empêcher de jouer son rôle de filtre. La tailler, ce serait faire preuve de vision. Ça vaut aussi pour l’O.T.J. Le plus inquiétant, c’est la « plage » Dourdan. Tantôt, on s’y étendra -ventre à l’air- comme des phoques sur la banquise. Spectacle désolant autour d’un cénotaphe qui commande davantage de respect. Y interdire la baignade, ce serait aussi une politesse envers Dame Nature qui se fait si belle pour nous. Nous avons deux plages, pourquoi détruire, une fois encore, ce qui reste de notre patrimoine. Après le patrimoine bâti, allons-nous sacrifier le patrimoine culturel? Méganticois et visiteurs l’apprécient comme jamais; ils sont nombreux à venir y chercher la sainte paix. Il faudrait aussi songer à remplacer les arbres incendiés afin de redonner à ce lieu, sa magie.

L’affreux cabanon du parc des Vétérans me tarabuste encore. On a beau avoir fait de réels efforts pour le camoufler, ça reste une chiure de goéland dans le parebrise. Je rêve, qu’avec le temps, on parvienne à le déplacer ou, à tout le moins, à le rendre invisible.

Il serait intéressant de coiffer les lampadaires du parc de chapeaux de fibre de verre, chapeaux qui seraient un clin d’œil à notre histoire, d’autant plus que nous avons perdu la plupart de nos repères. J’imagine la barrette du curé Choquette, la casquette du cheminot, le casque militaire des vétérans, la tuque québécoise et le béret écossais… En réanimant notre histoire avec un sourire, nous ferions d’une pierre deux coups puisque nous ramènerions l’éclairage vers le sol, en conformité avec l’objectif du ciel noir. Symboliquement, le parc ne serait jamais plus déserté parce qu’il serait désormais habité. On donnerait ainsi au patrimoine immatériel une existence trop longtemps ignorée.

Coin Thibodeau et Vétérans, à quoi devons-nous nous attendre? À des maisons personnalisées ou à des blocs Légo? Trop, c’est comme pas assez. Le village Cri d’Oujé-Bougoumou, comme Mégantic, avait des blessures à cicatriser. L’architecte appelé à sa reconstruction a su être créatif et respectueux de sa culture traditionnelle sans tourner le dos à la modernité. Même son organisation du territoire est imaginative. Eux aussi se sont donné l’objectif du développement durable. Ils sont la preuve qu’on peut faire autrement sans trahir son passé et ses rêves. Nous avons accompli de belles et grandes choses, hypothéqué certains rêves; malgré tout, l’essentiel reste encore possible. Allez voir, la démarche est inspirante.

Point de vue esthétique: est-ce que le plan d’urbanisme local interdit l’implantation d’un garage dans le prolongement de la façade? Quelques pieds en retrait, la maison gagnerait en apparence et en valeur. Certaines villes québécoises ne permettent pas les portes de garage donnant sur la rue. Comme pareille solution n’est pas toujours possible, le retrait reste un choix honnête. Quant aux arbres, il n’y en aura jamais trop, surtout au moment où les périodes de canicule s’intensifient en fréquence comme en intensité. En privilégiant le côté de rue opposé aux conduites d’aqueduc et d’égout, on éviterait bien des ennuis tout en servant la qualité de vie.

La rue Frontenac n’est plus, mais Frontenac pourrait renaître si on y rapatriait le bureau de poste. Cela créerait un va-et-vient salutaire et éviterait les périls de la sortie de rue du comptoir postal actuel. Ce serait, là encore, une manière de réintégrer le centre-ville que nous avions. Pour les mêmes raisons, la place d’un cinéma est au centre-ville. La Ville a été très généreuse avec des investisseurs qui n’avaient pas besoin d’aide; si elle prêtait l’oreille à de plus modestes, elle contribuerait à la diversité nécessaire. La rue Frontenac n’en serait que plus vivante.

Détail pratico pratique: allons-nous régler une fois pour toutes le ratissage du printemps qui se retrouve dans la rue, la piste cyclable et piétonne? Désagréable et dangereux d’y circuler, en particulier pour les vélos qui roulent sur le gravier et l’herbe humide. Quand le temps est sec, c’est la poussière soulevée par les autos qui gâche le plaisir de la promenade. La rue ne devrait pas servir de dépotoir. Si la Ville normalisait la situation, elle devrait imposer un calendrier par respect pour les marcheurs et cyclistes. Ce serait une politesse élémentaire.

En passant, je trouve que nos noms de rue manquent d’originalité et de poésie. Ils donnent une photo bien terne de ce que nous sommes. Il faudrait parfois oser un sourire ou une image verbale colorée. Notre ville gagnerait ainsi en humanité et fraîcheur. Par exemple, pour en finir avec la confusion rue et plage de la baie des Sables, on pourrait rebaptiser la rue. Ce pourrait être rue du « Soleil couchant », « Vallée de l’écho » ou « Entre ciel et terre », … On pourrait aussi inscrire dans le béton du pont Agnès que la Chaudière commence sous nos pieds. Il est rare de voir le début ou la fin d’une rivière, cela ne manquerait pas d’amuser nos visiteurs tout en leur donnant une anecdote à raconter.

Autre sujet. Combien de bateaux à moteur le lac peut-il supporter sans craindre pour son écosystème et la qualité de vie de ses riverains? Si nous comptons autant d’embarcations à moteurs que de propriétaires riverains, si nous ajoutons l’inventaire des marinas de Mégantic, Marston et Piopolis sans oublier les postes de location, les pêcheurs et touristes qui arrivent avec leur équipement parfois imposant, à combien de hors-bord et motomarines sommes-nous rendus? En respectant le droit acquis, n’y a-t-il pas lieu de se doter d’une politique avant de devoir remettre le dentifrice dans le tube? Tout ça, c’est sans compter que la marina de Mégantic déborde déjà et qu’elle ne peut ni ne doit s’exporter de l’autre côté du quai sans détruire la carte postale dont nous sommes si fiers.

Je trouve regrettable que la Ville n’appuie pas la tenue d’une enquête publique sur la tragédie du 6 juillet 2013. Elle aura beau nous répéter que les coupables sont connus; le problème n’est pas là. La preuve, nous avons reconstruit, au centre-ville, une voie ferrée avec un virage plus dangereux que celui d’avant la tragédie. Pourtant, nous étions des victimes encore traumatisées. À l’évidence, il ne suffit pas de savoir quoi faire, il faut un changement de culture que seule une enquête publique a une chance de modifier. Ce sont les recommandations qui importent ici et le fait de nommer explicitement les coupables d’autant plus que justice n’a pas été rendue et ne le sera pas si nous ne nous tenons pas debout.

C'est assez que l'on fasse payer par les petits pour les erreurs des grands (ferroviaires, minières et forestières), d'autant plus que ces derniers s'attribuent, sans gêne, le mérite des petits. Il y a quand même des limites à l'insolence. Je pense à ces politiciens qui ont le JE indécent quand c'est la pression populaire qui leur a permis de faire passer tel projet de loi et la population qui en assumera le coût de son implantation. Il faut croire que la chaîne de solidarité a l'esprit de classe. Parfois, je trouve que nous sommes patients jusqu'à la bêtise.

Cette enquête, nous la devons aux victimes et au Canada tout entier par souci de reconnaissance et de solidarité. D’autres accidents surviendront que nous n’aurons pas su prévenir par omission. Au pire, qu’on nous donne au moins l’illusion d’une justice afin que nous puissions faire notre deuil des êtres et des choses. Des fois, je me demande si le refus de la Ville n’est pas le résultat d’un chantage pernicieux, si subtile que la Ville-victime elle-même- y souscrit. Le fait que la voie de contournement ne soit pas réalisée, il y a là des questions à se poser sur le lobbying, l’incompétence ou l’incohérence du ministère des Transports. Bref, matière à enquête.

Après avoir vécu les ateliers « Réinventer la ville », après avoir réussi de véritables exploits, de bons coups et de moins bons, il serait peut-être temps de faire un post mortem pour mieux planifier la suite, à moins qu’elle ne soit coulée dans le béton.

Y aurait-il lieu de récupérer une partie du décor de la série télévisuelle sur la tragédie du 13 juillet 2013? Finalement, nous allons bientôt commémorer le dixième anniversaire de la tragédie. Il serait temps qu’à la cérémonie religieuse protocolaire, on ajoute une dimension humaine qui tienne compte des morts et des vivants. Il faudrait aller au-delà du passage obligé pour rejoindre l’être dans le citoyen. SVP, oublions l’envolée convenue de colombes et le spectacle touristique indécent. Concentrons-nous sur le témoignage de ce qui a été et de ce qui est, manière de prendre des nouvelles des uns et des autres. Victimes, psychologues et travailleurs sociaux seraient des ressources précieuses qui empêcheraient débordement et mièvrerie, tout en laissant la parole faire son Å“uvre parce que les mots sont nécessaires. L’exercice de vérité et réconciliation autochtone nous le démontre. Deux ans, ce ne sera pas de trop pour bien faire les choses. Jusqu’à présent, je suis toujours sorti déçu de nos commémorations surtout qu’on semble avoir oublié les non-pratiquants et les non-croyants. On ne peut confier à l’église seule le soin de la commémoration; la société civile a des devoirs. Je ne sais pas trop quoi ni comment faire, mais je sais qu’il faut autre chose, trouver un sens à ce qui est arrivé. Sortir de la parade politique et médiatique. 

Pardonnez-moi de déballer tout ça pêle-mêle. Le temps presse, l’occasion est belle et il reste des dossiers importants, voire vitaux, pour la suite des choses. Salutations respectueuses. 

Paul Dostie

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