Jean Légaré et Pierre Grenier
Né à Québec, c’était un rêve d’enfance pour Jean Légaré d’aller vivre en forêt. Il l’a finalement réalisé. «Au décès de ma conjointe, je suis allé m’installer à Val-Racine, en pleine forêt. J’ai construit ma maison de mes mains.» Et depuis vingt ans, l’amateur de plein air à la retraite a été confronté à un phénomène qui s’accélère, la diminution de la qualité de chasse et de pêche. «Ça réveille en moi un certain esprit de combat.»
Sensible aux enjeux des habitats fauniques, à travers différents dossiers de revendications qu’il qualifie d’«extrêmement politiques et complexes» mais qu’il a portés jusqu’à Québec, certains avec succès, lui et son groupe Unis pour la faune sont inquiets devant ce qu’ils qualifient de «privatisation du lac Mégantic». La mobilisation a été rapide. Créé tout juste le 25 février dernier, sur Facebook, la page privée Pour un accès équitable et abordable des descentes compte déjà près de 300 membres. La grande question qu’il se pose: «Si nos lacs, rivières et fleuve sont propriétés publiques, pourquoi alors en limiter l’accès avec des tarifs d’utilisation?»
Dès son arrivée au pouvoir, la Coalition Avenir Québec a milité en faveur d’un meilleur accès public, en collaboration avec le monde municipal. «La MRC (du Granit) s’est retiré du dossier, on ne sait pas pourquoi, et ce sont les quatre municipalités riveraines au lac Mégantic qui ont pris le dossier en mains. Elles ont fait le choix d’innover en installant à grands frais des barrières. Il faudrait que le citoyen ne paie pas davantage que 15 ou 20$ par jour d’accès au lac.» Beaucoup moins que les 50$ qu’ont annoncé en conférence de presse, lundi, les maires des municipalités riveraines pour les non-résidents. «Et pour nous, c’est très alarmant», insiste M. Légaré.
Limiter l’accès aux plans d’eau pourrait avoir un impact financier énorme. «Partout en Amérique du Nord, la gestion des rampes de mises à l’eau favorise l’utilisateur. Le Vermont en est un bel exemple.» Ce qu’il craint c’est qu’en limitant l’accès au lac Mégantic, les pêcheurs soient amenés à se déplacer vers le Grand lac Saint-François et que, là-bas, les municipalités riveraines emboitent le pas à une plus grande limitation des accès.
«On n’est pas contre les objectifs de protection et de conservation du lac. Tous veulent un lac en santé et des poissons en santé, c’est légitime.» Les algues et autres espèces envahissantes qui se trouvent dans le lac sont dispersées par les hélices de moteur qui y circulent. Le problème, selon lui, ne se résume donc pas à l’introduction d’espèces envahissantes par des embarcations mal lavées. La prévention des algues et espèces envahissantes ne justifie pas à ses yeux la mise en place de mesures limitant l’accès du public aux plans d’eau.
«Les Québécois sont les plus taxés en Amérique du Nord. Pour la conservation des plans d’eau, des fonds publics sont injectés et lorsqu’on utilise des fonds publics, on doit être le plus transparent possible.»
Pour lui, le calcul est vite fait. «J’avais l’habitude de me rendre au lac Mégantic avec mon bateau en moyenne trois fois par semaine. Je devrai donc, chaque matin, descendre de Val-Racine à Piopolis et me diriger vers la station de lavage à Nantes, payer 50$ pour laver moi-même l’embarcation et la remorque, puis redescendre au quai de Piopolis, en espérant avoir une place pour la descente à l’eau et le stationnement de ma camionnette et de la remorque.». Ajoutez 30$ d’essence pour le véhicule et 30$ d’essence pour l’embarcation, multipliez par trois, et l’activité de loisirs, qui est en même temps sa passion, lui coûtera cher! Il y a peut-être un prix à payer pour faire rouler l’économie, mais pas à ce point!
Un langage et un calcul que comprend bien Pierre Grenier, le président de l’Association Chasse et Pêche Lac-Mégantic. Son association compte 200 membres. Environ 60% sont des résidents de la MRC du Granit (la moitié d’entre eux résident dans les quatre municipalités riveraines et 40% proviennent de l’extérieur). C’est bien beau l’innovation technologique, dit-il, mais… «Ils ont préféré investir dans une technologie qui vient de France alors que la station de lavage (à Nantes), par exemple, n’est même pas conforme. Il n’y a pas de système d’égoût pour les eaux usées de la station de lavage. Ça se résume à un boyau d’arrosage sur un voyage de garnottes 0 3/4! Personne pour surveiller. Tu peux ouvrir le robinet, faire couler l’eau 15 minutes et repartir avec ton ticket, en espérant avoir une place sur une rampe d’accès.» Le billet délivré par la station de lavage ne vaut que pour la journée où il est émis.
Si le système est mis en place tel que prévu cet été, à partir du 9 mai, il craint de perdre des membres et, pour l’économie locale, une perte plus importante encore. «J’ai demandé un assouplissement pour les membres de l’Association, mais je n’ai pas eu de réponse!» Pierre Grenier a lancé une mobilisation de ses membres pour la rencontre d’informations le 10 mars, à 19h, au Centre sportif Mégantic. «Parlez-en à vos maires et à vos conseillers. Les quatre municipalités riveraines sont pognés avec une facture et c’est aux pêcheurs de la payer?»
À ses yeux, il est même possible que le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) cesse de financer les ensemencements si les frais d’accès au lac Mégantic deviennent exagérés. «L’investissement de fonds publics est dirigé prioritairement vers les plans d’eau facilement accessibles pour tous, de façon sécuritaire et légale. Bref, au bénéfice de la collectivité.»
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