Geneviève Rioux
Dans la nuit du 7 au 8 avril 2018, Geneviève Rioux a été victime d’une violence sans nom dans son appartement de la rue Lincoln, à Sherbrooke. Cible d’une tentative de meurtre et d’une tentative d’agression sexuelle, elle a reçu 18 coups de couteaux, a été étranglée et laissée pour morte. «C’est littéralement un miracle que je sois en vie», partage celle qui a choisi la voie de l’écriture comme outil de dénonciation. Pour obtenir ce sentiment de justice que le système n’a pu lui fournir.
Le 6 décembre, à l’occasion de la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes, Geneviève Rioux était de passage à Lac-Mégantic pour y livrer une conférence, à l’invitation de la Bouée et du Centre des femmes du Granit. C’est en marge de cet événement, en mémoire des 14 jeunes femmes assassinées à l’École polytechnique le 6 décembre 1989, qu’elle a accordé une entrevue à l’Écho.
Aucune accusation criminelle n’a été portée relativement à l’agression dont Geneviève a été victime. Mais pour elle, le système de justice n’est qu’une partie de la réponse. «Même s’il est efficace, ce qui va en ressortir c’est un discours désubjectivisé, ce n’est pas affectif. Et même si un agresseur est condamné, il va ressortir de prison et on devra apprendre à vivre avec sa présence, reconstruire son sentiment de sécurité.»
L’écriture a été pour elle une planche de salut. «Il y a eu une enquête de longue haleine, des choses que je n’avais pas le droit de dire; c’est devenu un exutoire», relate Geneviève, qui couchait alors sur papier un récit uniquement destiné à ses proches. Au Salon du livre, elle a abordé David Goudreault pour lui montrer ses écrits. Le romancier et poète l’a accompagnée dans sa démarche, qui s’est concrétisée avec son livre Survivaces, où son expérience prend le chemin de la métaphore. «Quand j’ai su qu’il n’y aurait pas d’accusation criminelle, je me suis dit que l’écriture serait mon outil de justice. Comme mon récit comportait trop d’enjeux juridiques, je me suis tournée vers la poésie.»
Avec Survivaces, Geneviève Rioux donne aussi un espace à ses proches et, du même coup, à toutes ces victimes collatérales dont on parle peu. Elle donne aussi la parole à sa mère, victime d’une agression semblable en 1999. «Entre la première et la deuxième partie du livre, j’emprunte les mêmes vers, transposés sur l’histoire de ma mère. Rapidement on comprend qu’une scène qui est répétée ne peut être due au hasard. Probablement que la personne qui m’a fait ça devait connaître mon histoire pour la mettre en scène de façon aussi similaire.»
Geneviève avait sept ans lors de l’agression de sa mère. Elle en a retenu qu’il faut crier, se battre, se défaire de l’agresseur. A suivi des cours d’autodéfense. «L’agression de ma mère m’a sauvée de la mienne», confie la doctorante en psychologie à l’emploi du CIUSSS de l’Estrie.
«Comme j’ai fait des études en psychologie, je souhaitais au départ garder l’anonymat. Quand l’écriture m’est apparue comme une voie royale pour obtenir un sentiment de justice, je me suis dit que ce n’était pas un rôle qui allait m’arrêter à être une personne plus réparée. Au contraire, avoir intégré ces expériences de vie m’aide à être plus disponible. Les gens peuvent se permettre d’être plus vulnérables parce qu’ils se disent que je ne suis pas une personne invincible», considère-t-elle.
De son expérience douloureuse a émergé le courage. Celui qui l’a sauvée de son agresseur, celui qu’elle porte toujours malgré ses blessures indélébiles. «J’ai eu un bon plasticien, mes cicatrices ne se voient pas beaucoup. Mais moi, je les vois tous les jours. Ce n’est plus dramatique maintenant parce qu’il y a plein d’amour et de bienveillance autour de moi. Il y a aussi l’humour qui aide à passer à travers tout ça. On ne peut pas s’en sortir seul; il faut faire du sens avec les gens qui nous aident à nous relever. Miser sur soi et sur ceux qui sont importants pour nous .»
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