Vous connaissez l’Isthme de Chignecto? Cette bande de terre stratégique reliant le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse est menacée d’érosion en raison des changements climatiques, notamment la hausse du niveau des eaux. Située légèrement au-dessus du niveau de la mer, elle est uniquement protégée par un réseau de 35 kilomètres de digues et d’aboiteaux, aménagé dans les années… 1600! La route transcanadienne et le chemin de fer du Canadien National y passent. Il s’agit de la seule liaison routière et ferroviaire entre les deux provinces. Un lien terrestre essentiel au Canada Atlantique. Il y a un projet de 400 millions $ sur la table pour solutionner le problème et Ottawa, dans sa grande générosité, offre d’en payer la moitié. Ottawa est pingre! Et les premiers ministres des deux provinces s’en rendent bien compte. Alors, ils menacent de traîner le fédéral devant les tribunaux pour lui faire payer une plus grande partie de la facture.
Blaine Higgs, le premier ministre du Nouveau-Brunswick qui a passé 33 ans comme cadre chez Irving avant de faire le saut en politique, croit que le fédéral devrait tout payer tout seul, mais que sa province serait prête à contribuer si… «Ottawa s’engageait à payer les deux tiers de la facture, s’il y a dépassement de coûts.»
Tim Houston, le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, a déjà soutenu qu’Ottawa avait l’«obligation constitutionnelle» de financer la totalité des coûts de ce projet.
Une députée du Parti Vert du Nouveau-Brunswick, Megan Mitton, ose même suggérer que le Canadien National devrait être aussi à la table, puisque, après tout, c’est son chemin de fer qui court sur les digues.
La réponse du fédéral est venue de la bouche du ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités Dominic LeBlanc: «C’est de responsabilité partagée fédéral-provincial». Donc 50%-50%! Pas plus ni moins! Alors pourquoi pas avec un troisième partenaire, le Canadien National? Question de respecter la constitution canadienne, dit le ministre. Deux poids, deux mesures? Le pont de la Confédération, avec ses 12,9 kilomètres de long, reliant depuis 1997 l’Île-du-Prince-Édouard au Nouveau-Brunswick, a coûté 840 millions! Il a été construit en trois ans et exploité par des entreprises privées. Les usagers cesseront de payer leur passage sur le pont en 2032. Donc, dans moins de 10 ans.
Vous me voyez venir? 840 M$ c’est probablement le prix que les contribuables canadiens (60%) et québécois (40%) vont payer pour la voie de contournement ferroviaire, un projet de 12,4 km de voie ferrée déposé par la CMQ, une filiale du Canadien Pacifique, devant l’Office canadien des Transports, «pour la reconstruction sociale de Lac-Mégantic » (maudit qu’ils sont fins!) et qui leur sera sans doute accordé par Sa Majesté le Roi du Chef du Canada, qui ne se gênera pas pour fouiller dans nos poches s’il y a des dépassements de coûts!
Mais ici, personne de la classe politique, ni au fédéral ni au provincial, n’a eu l’audace, ce crime de lèse-majesté, de suggérer que le Canadien Pacifique paye sa part dans le calcul du partage des coûts. Ici, on ne se pose pas la question! Le Roi le veut et ainsi sera faite la volonté du Roi, même s’il s’agit d’un projet qui, une fois payé par les contribuables, deviendra une propriété privée, au seul bénéfice de la compagnie de chemin de fer.
Il y a quelque chose d’inébranlable dans la décision du gouvernement fédéral d’aller de l’avant dans le projet et dans le tracé de la voie de contournement ferroviaire, au nom de Sa Majesté. Dans sa décision d’exproprier les terrains et parcelles de terrains qui se trouvent dans l’emprise «élargie» de la voie de contournement, malgré l’opposition de certains expropriés, la ministre des Services publics et Approvisionnement Helena Jaczec ne met pas de gants blancs. Parmi les opposants, Tafisa Canada Inc. révèle-t-elle. «Bien que Tafisa Canada n’a fait aucune représentation lors de l’audience publique, cette dernière a soumis une opposition écrite. Pour répondre à ses motifs d’opposition, alléguant un vice de procédure du fait qu’aucune négociation n’était possible préalablement aux avis d’intention d’exproprier: La Loi sur l’expropriation ne prévoit pas que des négociations quelconques doivent être faites avec les propriétaires visés préalablement à l’enregistrement d’un avis d’intention d’exproprier. De ce fait, il n’y a pas eu de vice de procédure, comme mentionnée par Tafisa Canada Inc.»
En d’autres mots, serment d’allégeance ou pas au monarque canadien, pas de traitement de faveur pour le principal employeur du parc industriel de Lac-Mégantic, dont les deux usines seront traversées par l’emprise de la future voie ferrée.
{text}