Pierrot Jolin cultive son érablière comme un jardin. Et les arbres lui rendent bien. (Photo Rémi Tremblay)
(Photo Rémi Tremblay)
Dans son érablière de 4 500 entailles, l ’ex-maire de Stornoway Mario Lachance produit une quarantaine de barils à l’ancienne, avec bouilleuse à bois. L’élargissement, sur sa terre, de l’emprise d’Hydro-Québec où passera la ligne d’interconnexion Appalaches-Maine, l’a amené à faire lui-même la coupe de 500 entailles, récemment, récoltant abondamment de bois pour le chauffage de son installation et l’approvisionnement de sa famille. L’odeur des vapeurs s’échappant de la bouilleuse, la saveur du produit recueilli au robinet et l’excitation des petits-enfants autour font le bonheur des grands parents Mario et Cécile au temps des sucres. (Photo Rémi Tremblay)
À Stornoway, depuis des jours, Pierrot Jolin ne tient plus en place. Propriétaire d’une érablière comptant 24 500 entailles, dans une forêt qu’il cultive avec la passion du jardinier, il est parmi ceux qui, le temps des sucres venu, ne dort jamais sur ses deux oreilles. L’alerte peut sonner sur son cellulaire à tout moment, de jour comme de nuit. Si un problème survient, il s’empresse de se rendre à la cabane techno, raquettes aux pieds, où il produit, bon an mal an, 215 barils de sirop.
Ce dimanche-là, 3 mars, le système de tubulure n’a pas suffisamment acheminé d’eau d’érable alors, sa bouilleuse électrique fonctionnera demain. «Je bouille pendant dix heures et j’ai mes vingt barils, il n’y a aucun problème», dit-il, plutôt fier de cet équipement acquis il y a quatre ou cinq ans, avec une subvention du gouvernement pour la transition de l’huile à l’électricité. «Avant, ça me coûtait entre 20 000$ et 24 000$ de carburant par année, maintenant l’énergie me revient à 700$ annuellement. Il y a vraiment une économie.» La facture énergétique représentait environ 50$-60$ le baril, en comparaison des 3$-4$ aujourd’hui. «L’investissement en vaut la peine», dit-il, en parcourant une à une les pièces du bâtiment. Les équipements sont étincelants, tous proviennent d’équipementiers québécois, y compris le réservoir de 10 000 gallons, à l’extérieur.
L’acériculteur, inscrit biologique depuis quelques années, vit au rythme de la coulée. L’un des deux représentants de l’Estrie à siéger à la fédération des Producteurs et productrices acéricoles du Québec, Pierrot Jolin surveille l’évolution de la saison 2024 les yeux rivés sur ses écrans. Une attention toute particulière pour la MRC du Granit qui compte le plus grand nombre d’entreprises agricoles, avec 545, et le plus grand nombre d’entailles, 5,8 millions dont 81% en forêts privées, surpassant de loin les MRC voisines du Haut-Saint-Francois (970 010 entailles), Coaticook (757 619), du Val-Saint-François (561 344), Les Sources (302 451) et Memphrémagog (262 401).
La MRC du Granit est un allié des acériculteurs et acéricultrices. Et pour cause : «ce beau produit de luxe, reconnaît M. Jolin, va rapporter aux gouvernements de 10 à 12 fois plus que la coupe forestière. Et «c’est la seule affaire que les Chinois ne peuvent pas copier», lance sa conjointe Maryline, au cours de la visite. Pas de doute là-dessus, quand t’épouse un acériculteur, il y a la chance que le sirop d’érable finisse par couler dans tes veines.
L’entreprise emploie un homme à temps plein et deux saisonniers qui ne manquent pas de boulot. La saison est courte, entre quatre et cinq semaines en moyenne, et dépend entièrement de Dame Nature. «Il vaut mieux en faire tôt en saison, parce que la qualité est là. La crainte, c’est la quantité de neige au sol mais ce n’est pas la quantité de neige qui fait le sirop non plus. L’important, c’est le gel et le dégel!»
Son contingent de 215 barils part à la réserve de sirop d’érable de la PPAQ, la seule et unique au monde, d’une capacité totale de 133 millions de livres de sirop, pour répondre à la demande provenant de 70 pays, dont les États-Unis, le plus gros importateur. Et comme le marché est en croissance dans le biologique, comme dans le traditionnel, la réserve baisse.
Vaut mieux alors que l’acériculteur de Stornoway fasse une bonne saison, et si possible un copié-collé de 2022, l’année où l’érablière de Pierrot Jolin a atteint une production record de 300 barils. Une bonne année encore à prévoir? La question est posée mais l’acériculteur d’expérience, même entouré de technologies, ne saurait y répondre. «C’est bien parti, mais c’est Dame Nature qui décide!»
Pour l’amateur de statistiques, le Québec assure en moyenne 72% de la production mondiale de sirop d’érable et 90% de la production canadienne. La contribution de l’acériculture québécoise au produit intérieur brut canadien était de 1,1 milliard $ en 2022. Les revenus en taxes et impôts, 235 millions pour le Québec et le reste du Canada.
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