Aller à l'université: Pourquoi?

Vendredi, 18 mai 2012, une loi spéciale a été votée à l'assemblée nationale du Québec: la loi 78. Cette loi a eu des échos partout dans le monde, dans divers journaux et sur la toile. En Allemagne, les journaux titraient «Québec limite la liberté de réunion», «Québec a adopté une loi d'urgence», «Au Québec, les politiciens veulent restreindre les libertés civiles». C'est à Berlin que j'ai appris l'arrivée de la loi 78 au Québec. Depuis l'automne 2010, j'y effectue mon doctorat, un endroit où les frais de scolarité sont inexistants. Ici, je désire me limiter à la source et le fondement du conflit: les frais de scolarité. Je passerai sur quelques arguments qui s'opposent pour ensuite terminer sur ce que les étudiants apportent à la région.

D'abord, lorsqu'on parle de frais de scolarité au Québec, ce sont principalement les universités qui sont concernées. Au Québec, huit municipalités incluent des universités sur leurs territoires. Donc, l'influence d'une université ne se sent pas partout au Québec. Je veux donc rappeler ce qu'est une université et la distinguer de ce qu'est une école. Selon Charles S. Peirce (un philosophe américain), une université est une association de professeurs et d'étudiants ayant pour but d'approfondir et transmettre la connaissance d'une société afin qu'elle puisse résoudre les problèmes auxquels elle fera face. Cela la distingue d'une école, un endroit où des enseignants transmettent des aptitudes spécifiques liées à un emploi, à un domaine précis: école de médecine, d'ingénieurs, d'arts, d'architectures et j'en passe. Une autre distinction importante qui tend à être oubliée: l'université est la seule institution possédant le pouvoir de conférer des grades: bachelier, maître et docteur en plus de conférer certificats et diplômes comme les écoles le font.

Je souligne ici mes mots: ces titres ont pour mandat de certifier le niveau de connaissance générale atteint par un citoyen dans un certain domaine et non pour leur garantir un emploi. Au Québec, les écoles et les universités sont regroupées sous un même toit et cela crée beaucoup de confusion. On entend souvent entre étudiants et citoyens: «Tu étudies le droit, alors tu veux devenir avocat? Non, pas nécessairement», «Tu étudies en administration, alors tu veux devenir comptable? Non, pas nécessairement», «Tu étudies les mathématiques, alors tu vas devenir actuaire? Non, pas vraiment». La formation universitaire ne vise pas nécessairement l'emploi, mais la connaissance et sa transmission.

Un étudiant paie des frais de scolarité selon le nombre de crédits (c'est-à-dire d'heures de cours par semaine) qu'il a lors d'une session. S'ajoutent à cela les frais afférents, les frais de gestion, frais de modernisation, fonds d'investissements, cotisations étudiantes, assurances, etc. Comme mentionné plus haut, les universités sont présentes dans seulement huit municipalités au Québec. Ainsi s'ajoutent les frais de covoiturage ou d'entretien automobile, de loyer, d'épicerie, internet (les devoirs et notes de cours sont maintenant seulement distribués en ligne), de téléphone (parce que nos parents sont inquiets lorsqu'on quitte pour la grande ville), d'électricité (les étudiants n'habitent pas toujours dans les appartements les mieux isolés), etc. Personnellement, je n'ai pas encore rencontré un étudiant qui n'a jamais travailé durant ses études au Québec. En Allemagne, c'est tout le contraire, les étudiants se concentrent sur leurs études à temps plein sans devoir travailler. Ici, le gouvernement nous dit: les étudiants doivent faire leur juste part. D'accord, mais n'utilisons pas de termes qui ne sont pas définis. Qu'est-ce que la juste part? Contribuer à l'économie d'une ville, d'une région, du Québec en payant loyer, électricité, téléphone, épicerie, impôts (en effet, les éudiants doivent maintenant payer de l'impôt car ils doivent gagner suffisamment pour payer leurs études) et ensuite accepter de payer encore plus de frais de scolarité? Si les parents paient, alors tant mieux. Par contre si l'étudiant paie le tout, alors n'est-ce pas beaucoup lui demander? Le Québec trouve inacceptable que des citoyens vivent sous le seuil de la pauvreté, mais des étudiants, ce n'est pas grave? «Faire sa juste part», en rhétorique, on appelle ça un «sophisme», un argument vide. Je m'attends à davantage de sérieux de mes élus: se faire servir des sophismes comme arguments c'est méprisant et d'une faiblesse argumentaire crasse.

Commençons donc par les arguments contre la hausse
1) Le Québec accuse un retard concernant le taux de scolarisation de la population en comparant avec les autres provinces canadiennes. Après le rapport Parent, les frais de scolarité ont été gelés afin d'éliminer cette différence. Il reste encore beaucoup de chemin à faire par rapport aux autres pays de l'OCDE. Radio-Canada donnait dernièrement cette statistique: 70% des récents diplômés québécois provenant des régions étaient les premiers de leurs familles à obtenir un grade universitaire. Augmenter les frais de scolarité, c'est augmenter l'endettement des étudiants des régions qui veulent apprendre et espérer avoir une vie meilleure que celle de leurs parents et grands-parents. Plusieurs d'entre eux veulent aussi revenir en région. Par contre, les perspectives d'emplois en région sont plus minces et le poids d'une dette d'étude contribue à l'exode vers les grands centres d'une jeunesse formée, prête à travailler.

2) L'État Québécois possède une force monétaire inégalable pour financer l'éducation. À l'aide de l'impôt sur le revenu, le Québec s'assure d'une redistribution des ressources pour garantir une société égalitaire où on demande à sa population de contribuer à sa société à la mesure de sa richesse. Vous l'avez fait pour l'assurance maladie, l'assurance auto, Hydro-Québec entre autres. Vous vouliez collectivement avoir accès à un service de santé gratuit, peu importe le salaire. Vous vouliez collectivement vous protéger contre les accidents d'autos. Vous vouliez collectivement bénéficier de vos ressources électriques propres à un prix minimal mondialement. Et maintenant, vous voulez collectivement que vos enfants bénéficient d'une éducation qui les amènent à l'endettement et à l'exploitation des banques? Nos élus vendent l'Île d'Anticosti, la corruption corrode les infrastructures québécoises: ce n'est pas grave... Mais des étudiants avec un projet de société et un intérêt manifeste pour la démocratie: c'est inacceptable. C'est vraiment triste comme constat.

3) La société perd de l'argent au profit des banques. En octroyant des prêts aux étudiants, la société paie les intérêts sur la totalité des prêts étudiants durant leurs études. En augmentant les frais de scolarité et les prêts étudiants, les banques font davantage d'argent en recevant les intérêts sur les prêts. De plus, dans le plan du gouvernement actuel, une partie de l'augmentation des frais de scolarité viendra aider le programme de prêts et bourses. Les étudiants riches (de familles riches devrais-je dire) financent les étudiants pauvres. Pourquoi donc ne pas laisser l'impôt faire ce travail? En octroyant des prêts, l'étudiant issu d'une famille pauvre sort avec des dettes d'études et l'étudiant issu d'une famille riche sort indemne. C'est une situation d'injustice sociale et un soi-disant «investissement sur soi» n'est pas un contre-argument valable. J'y viens plus bas.

4) «Parce qu'ailleurs, c'est différent.» Certains nous comparent aux États-Unis et au reste du Canada. Je les invite à lire le rapport Parent et les rapports de l'OCDE. Les deux affirment que les frais au Québec et au Canada étaient et sont toujours parmi les plus hauts du monde. À quoi bon se comparer? Le Québec ne doit pas singer un autre pays, il doit trouver sa façon de faire, comme il l'a fait avec le rapport Parent en décidant de geler les frais de scolarité dans une perspective de gratuité. En 1976, le Canada a signé un accord international en ce sens, mais ne le respecte pas (définitivement, le Canada a la réputation de tenir ses promesses). Faut-il absolument se comparer aux États-Unis où il y a plus de 35 millions de citoyens sans assurance maladie, la peine de mort existe toujours dans plusieurs états, l'éducation supérieure est réservée à une élite provenant de plus en plus de l'étranger, car l'éducation primaire et secondaire américaine n'est plus de calibre. Je le répète je veux que le Québec trouve «sa» solution.

5) Parce qu'un étudiant universitaire remboursera davantage que le coût de sa formation à travers l'impôt sur le revenu. Il donnera plus à sa société que la société lui a donné en lui fournissant une formation. Et advenant qu'il ne soit pas un haut salarié, il contribuera à la mesure de ses revenus.

6) Parce que dans les universités et cégeps, on forme des citoyens avertis, qui seront plus en santé, moins facile à manipuler, moins apte à la corruption. Une formation collégiale et universitaire amène les étudiants à poser les bonnes questions, à réfléchir, à trouver les bonnes réponses, en plus de la formation plus spécifique qu'ils reçoivent.

Maintenant, voyons certains arguments pour la hausse ou pour les frais de scolarité
1) En exigeant des frais de scolarité, on s'assure d'un certain sérieux de la part de l'étudiant, de la naissance de la responsabilité chez l'étudiant. Il est vrai que ça peut responsabiliser. Mais est-ce le seul moyen? Comme je l'ai écrit plus tôt, les frais de scolarité ne sont pas les seuls coûts de la formation universitaire. J'entends souvent l'argument «ceux qui profitent du système, on fait quoi avec eux?». Je n'ai pas encore rencontré d'étudiants qui ont eu besoin de 8 ans pour terminer le cegep ou un bacc. Certes, il arrive souvent qu'un étudiant change de programme, mais alors est-ce si dramatique de changer de plan de carrière à 18-20 ans? Si les profiteurs du système existent aujourd'hui, alors les frais de scolarité présents n'empêchent pas cette situation. La gratuité est présente dans 11 des 16 universités allemandes. Dans les 5 autres, ils ont deux mesures qui rassureront certains. D'abord, ils exigent des frais de «deuxième formation» à ceux qui ont obtenu un diplôme et qui débutent une formation dans un autre domaine. Finalement, ils exigent des «frais d'étude à long terme» pour ceux qui ne terminent pas leurs formations dans les temps prévus. À mon humble avis, ces histoires d'étudiants qui glandent au cegep et à l'université ne sont que préjugés. Au cegep, j'avais 28 heures de cours c'était moins que les étudiants en technique. S'ajoutent à cela les heures de devoirs et de travaux. À l'université, on peut facilement doubler la charge de travail. En tout cas, je n'ai jamais entendu parler d'un profil universitaire «fastoche». Finalement, je ne crois pas que ceux qui possèdent le courage de retourner aux études méritent l'épithète de «profiteur».

2) «Ces enfants rois qui ont tout ce qu'ils veulent...» Permettez-moi au moins de sourire. Lorsque j'entends des adultes prononcer ces paroles, je me pose la question suivante: est-ce que c'est la faute des parents ou des enfants? Génétiquement, on ne peut pas naître «enfants rois», ça vient forcément de quelque part. Et ce fameux iPhone: on peut se poser la question aussi pour un citoyen ordinaire. Le citoyen ordinaire n'a pas besoin d'un iPhone. Dans la société de consommation dans laquelle on vit tous, c'est dévier le débat que d'accuser les étudiants d'un mal qui affecte la société en entier. Est-ce qu'on demande aux étudiants de vivre dans un autre monde? Est-ce qu'on considère les étudiants comme des citoyens de troisième classe? D'où vient cette jalousie, cette haine envers les étudiants?

3) «Les gens perdent leur temps à l'université: il faut travailler.» Bientôt je serai à ma dixième année d'étude post-secondaire et je n'ai pas terminé. En Allemagne, ils considèrent les études comme un travail. Au secondaire, on nous disait: «Allez vas-y à l'école, dans la société de demain, un cinquième secondaire ne suffira pas». Personnellement, si je dois travailler toute le reste de ma vie, j'aurai au moins rencontré des gens qui me ressemblent, appris à vivre dans diverses sociétés, et oui, à m'émanciper des chaînes qui m'empêchaient de penser par moi-même. Peu importe le travail que j'occuperai, je le ferai avec tout le bagage d'expériences et d'apprentissages que j'ai fait durant mes années universitaires. Et ça, aucune expérience de travail n'y est égale. Pourquoi refuser de telles expériences à sa jeunesse?

4) «L'étude supérieure c'est un investissement sur soi». Comme précisé au début du texte, les universités et leurs membres ont comme mandat d'enrichir la société grâce à la connaissance. Les études supérieures sont tout sauf un investissement sur soi. C'est la société qui en bénéficie directement et c'est elle qui devrait le financer. Prenons l'argument à l'inverse, est-ce que l'investissement sur soi disparaît en même temps que les frais de scolarité? Si j'investis sur moi en faisant mon doctorat à Berlin en Allemagne (qui augmente mes chances de revenir un jour au Québec), sans pour autant sortir avec un prêt étudiant gros comme une hypothèque, c'est donc dire qu'un investissement sur soi n'implique pas toujours un endettement. Et si on pouvait investir notre temps au lieu de notre argent?

5) «Le Québec ne peut pas se permettre le gel ou la gratuité économiquement». Un argument contre lequel je réponds en deux temps. De un, Hydro-Québec vient de céder les droits d'exploitation de gaz de l'Île d'Anticosti, malheureusement, on ne connait pas les termes de l'entente, mais on sait compter. De deux, le gouvernement libéral a éliminé la taxe sur le capital qui permettrait de payer la gratuité scolaire plusieurs fois. Après quoi, ne nous disons pas que les étudiants rêvent en couleur. Le Québec possède une économie forte; l'orienter vers des projets constructifs, comme il l'a déjà fait, ne sera pas si difficile. Il n'en tient qu'à nous.

6) «Les universités sont déficitaires». Comme mentionné plus haut, ce n'est pas son but d'être profitable monétairement, mais bien de l'être au point de vue des connaissances de sa société. Demande t-on aux hôpitaux d'être profitables monétairement? Les entreprises prennent de plus en plus de place dans les universités et les étudiants en paient le prix par la qualité de l'enseignement. Nous devons réexaminer le rôle d'une université dans une société pour régler ce problème, ce n'est pas en augmentant les frais de scolarité que le problème se règlera.

Le débat sur les frais de scolarité est un débat de fond, un débat sur nos valeurs. La longueur du conflit en témoigne. Prenons donc le temps en société de faire la part des choses, sans l'apport des médias de masse, qui n'amènent rien au débat que discordes et sensationnalismes. Faisons-le dans l'esprit du rapport Parent afin de trouver une solution qui sera à notre image. Une image qui par le passé reflétait une décision collective par dessus l'intérêt d'une personne en particulier. Demandons-nous quel est le bien que le Centre d'études collégiales a fait sur la région? Environ 150 étudiants restent dans la région 2 à 3 ans de plus. Demandez-le au centre hospitalier, aux épiciers, aux commerçants (autos, équipements de sports, vêtements, et j'en passe). Les étudiants ont un impact direct dans leurs milieux et ce partout au Québec, pendant leurs études et après leurs études. Je conclurai avec une phrase que j'ai lu sur le mur de Berlin la semaine dernière: «Celui qui veut que le monde subsiste tel qu'il est, ne veut pas qu'il subsiste du tout.»

Jean-Philippe Labbé
Doctorant en mathématiques
Université libre de Berlin

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