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Une ville et des gens, sens dessus dessous
Pour la section du centre-ville qui ne sera pas reconstruite, on projette un parc commémoratif à la mémoire des 47 victimes. Une politesse du cœur. Cette fois, comme nous avons du temps pour planifier la suite, nous pourrions aller au-delà du mémorial classique en redonnant symboliquement la ville perdue aux victimes et aux survivants que nous sommes. Nous pourrions reconstituer la façade, grandeur réelle, de tous les édifices détruits par le feu ou le pic des démolisseurs. Comme dans le Vieux Québec (Place Royale) où à l’UQÀM (entrée Saint-Denis), les soutenir à l’aide de poutres d’acier ancrées dans le béton.
En façade, l’effervescence d’hier encore; derrière, quelque chose du futur si les architectes ont le souci de donner un certain esthétisme aux charpentes, le souci de sculpter l’espace, d’oser la couleur ou même de les habiller. Du côté du stationnement, ils pourraient y introduire différents styles d’escaliers, les relier pour le coup d’œil et le défi sportif aux amateurs de cardio. Ils pourraient jouer avec les formes géométriques ou choisir des thématiques. Du côté ouest de la rue Frontenac, celui adossé au boulevard des Vétérans, percher des vérandas fleuries ou des solariums légers qui donneraient sur le lac et le ciel étoilé. Entre les poutres, ils pourraient aussi introduire des cordes à linge créées par des artistes ingénieux afin de rappeler la ruelle qui s’y trouvait. Quant à fabuler, pourquoi ne pas imaginer un énorme mobile. représentant les maisons incendiées du boulevard des Vétérans. L’important, ce serait que les structures d’acier aient un esthétisme, soient vivantes et utiles. Il y aurait encore cinq ou six suggestions à ajouter, mais comme il y a loin de la coupe aux lèvres, elles peuvent attendre.
Point important à retenir, il ne s’agit surtout pas de succomber à la nostalgie ni de créer un centre-ville fantôme, mais de lui redonner vie en en faisant un lieu de pèlerinage et de passage. Comme à Rome ou Athènes, nous n’avons pas de ruines à offrir au regard et à la réflexion; nous aurions une architecture témoin, un peu comme l’ossuaire de Verdun (France) qui s’entête à aller au-delà des statistiques pour nous ramener au drame humain. En façade, un passé heureux; côté cour, une résilience salvatrice qui ferait référence à la modernité du nouveau centre-ville. Pareil devoir de mémoire permettrait aux Méganticois et visiteurs de prendre la mesure exacte de la tragédie. Généralement, les catastrophes ont lieu loin en mer ou dans des zones inhabitées: les pétrolières et les minières y font leurs ravages et disparaissent, ni vues ni connues, en laissant leurs dépotoirs à la charge de l’État. Les images de la télé, si percutantes qu’elles soient, ne nous donnent pas tant accès à la vérité qu’aux sensations primaires. Pour comprendre, comme dans un procès, nous avons besoin de voir et d’entendre les témoins. Nous sommes une région éloignée, mais accessible; une belle région de surcroît. Comme notre malheur est connu mondialement, comme c’est le pire accident ferroviaire à s’être produit au Canada, je suis convaincu qu’on viendra de loin constater les dégâts et en saisir le caractère tragique.
Cette proposition circonstancielle aurait le mérite d’être plus qu’une humble liste de disparus gravée dans le bronze ou qu’un banal compte rendu, elle serait le témoin vivant d’un passé et d’un présent, un mémorial unique. On voudra marcher la rue Frontenac sur toute sa longueur, se faire photographier devant la façade du Musi-café, parler avec les citoyens ou se recueillir devant le cénotaphe. On voudra aussi, par défi ou solidarité résiliente, grimper les escaliers en dents de scie ou monter aux balcons observer les sculptures thématiques, le lac et les étoiles. Derrière les portes du Dollarama de façade, nous pourrions y retrouver le marché public, à l’abri sous les toiles accrochées à la charpente. Et j’en passe tellement il y a de possibilités de jouer avec ces structures. La façade du Frontenac pourrait même servir de mur d’escalade et les vitrines, l’occasion d’un défilé de mode éphémère ou d’une mise en scène, le temps d’une photo. Bref, une question d’animation intelligente.
En ce qui concerne les victimes, aux fenêtres et vitrines des façades reconstituées, ici et là, leur portrait heureux d’avant l’instant fatidique. Bien sûr, il faudra obtenir l’autorisation des familles et respecter leur volonté. Si elles refusaient, cela n’hypothéquerait pas le projet; les fenêtres resteraient fermées : elles prendraient ainsi un autre sens. Avec le temps, le chagrin emprunte un autre chemin et les larmes, épuisées par la douleur, viennent alors arroser le jardin des souvenirs parce que le cœur a soif. La dernière chose que l’on souhaite, c’est oublier.
Ce que je redoute le plus, c’est le train maudit, ce caillot si près du cœur. Certains en font une question de sécurité, de règles et de lois. Ils n’ont pas compris que l’erreur humaine ne se légifère pas, encore moins la bêtise. A-t-on vraiment besoin d’une autre épreuve? Il est paradoxal, dans une province où la devise est « Je me souviens », d’avoir la mémoire aussi courte. Transformer la voie ferrée en un parc, ce serait un baume sur une plaie ouverte. Le contournement de la ville n’est pas un caprice, mais une nécessité psychosociale, une marque de respect élémentaire, une manière de remettre à l’ordre ce qui est sens dessus dessous. Le jour où un convoi de marchandise osera traverser la ville, même pour notre bien, nous devrions tous nous retrouver sur la piste cyclable, en silence, le dos à la voie ferrée pour témoigner de notre refus d’oublier. Que le train ait été là avant nous ne lui donne pas le droit de vie et de mort. Maudit soit la locomotive qui fauche des vies sans état d’âme et nous oblige à baisser la tête. Si au moins nous pouvions faire l’économie de la partisannerie et obtenir de tous les partis, à Québec comme à Ottawa, un engagement solennel à déplacer la voie, nous pourrions plus facilement serrer les dents et fermer les yeux pendant que le convoi passe. Aujourd’hui, c’est le train-train politique qui me tue.
Souhaitons que le parc projeté ne soit pas un vulgaire boisé qui obstruera la vue; inspirons-nous du parc des Vétérans, plantons des ormes, véritables parasols qui confèreront un air de temple gothique au lieu commémoratif. Les villes de Québec et de Lac-Mégantic ont quelque chose d’unique en commun : des parcs plantés d’ormes majestueux où la lumière a droit de cité. Les sylviculteurs de Québec ont trouvé le moyen de contrôler la maladie hollandaise des ormes, ils auraient même créé un cultivar résistant. Profitons de nos bonnes relations avec le maire Labaume pour faire appel à l’expertise de ses employés. Notre signature en dépend. Les architectes paysagers ont souvent la manie des fioritures qui demandent beaucoup d’entretien. L’étendue du paysage, le lac et les montagnes appellent la hauteur d’âme et la simplicité naturelle.
Le 21 septembre, j’écoutais à la radio un échange instructif entre M. L’Allier, ancien maire de Québec, et Alexandre Taillefer, un des dragons de l’émission de télé, homme d’affaires et mécène féru d’art. Les deux s’entendaient sur la nécessité de l’éducation par le beau parce que la beauté crée de la fierté et que la fierté mène à l’engagement. La Ville semble partager cette vision si nous nous référons au parc des Vétérans, à l’aménagement de l’OTJ, au centre sportif et au nombreux bénévoles dévoués; à une plus petite échelle, aux terrasses, aux enseignes de plus en plus soignées et aux parterres fleuries. M. L’Allier croit que l’une des fonctions de l’édifice public est de donner l’exemple et que «louer des pieds carrés est une erreur». Il est bien placé pour le savoir, lui qui a eu à refaire le quartier Saint-Roch.
Une anecdote amusante à ce propos. Quand il a présenté son projet, dans la salle, certains traitaient son conseil de «pelleteux de nuages». Paul Hébert, comédien, s’est alors levé pour dire aux pisse-vinaigre: «Si vous voulez voir le soleil, il vous faut pelleter quelques nuages.» La boutade a calmé les esprits et ragaillardi les élus que se la répétaient quand ils se butaient à un obstacle. L’avenir leur a donné raison. M. L’Allier, en voilà un qui ferait un conférencier extraordinaire parce qu’il a eu à refaire, comme nous aujourd’hui, tout un quartier. Souhaitons-nous une conférence publique parce qu’après tout, c’est aussi notre ville.
Finalement, dites-vous que dans quelques années, les visiteurs ne comprendront pas ce qui s’est passé si nous effaçons toutes les traces de la catastrophe qui a fait de nous, que nous le voulions ou non, des porteurs de mémoire obligés. Il faut qu’ils repartent d’ici la tête et le cœur pleins parce que nous devons leur en donner autant que nous en prenons. Mme Laroche les a invités à ne pas nous abandonner, donnons-leur une raison de revenir. Ne nous contentons pas de maquiller les faits, offrons-leur l’implacable vérité, mettons un visage sur chacune des victimes afin de les sortir de la case des dommages collatéraux, permettons-leur de compter, une à une, les bâtisses incendiées ou démolies pour qu’ils repartent avec les questions qui ébranlent les certitudes. L’humanité mérite mieux que la compassion, elle mérite que tout ça serve à quelque chose. Qui va payer? Les coupables. En attendant la fin des procès ponctués de délais de justice vicieusement planifiés, considérons ça comme un investissement. Vous pouvez me traiter de fou, de «pouète» ou de «pelleteux de nuages», mais vous pouvez faire mieux: proposez autre chose avant que nous nous retrouvions, une fois encore, devant le fait accompli. Il n’en tient qu’à nous de faire d’une circonstancielle une déterminative.
Paul Dostie
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