Ce terrible mal-être!

«Comment ça va à Lac-Mégantic?» La question qui tue, les citoyens d’ici l’ont entendue des centaines de fois, dès qu’ils mettent le pied dehors. En marchant, en magasinant, en rendant visite à la famille aux quatre coins du Québec, au rendez-vous chez le médecin, en voyageant sur le continent ou étendu sur une plage du Sud. Y’a juste les fonctionnaires qui la posent pas. Imaginez un peu si la dame de Revenu-Québec vous demandait comment vous allez, avant de vous rappeler tout bonnement combien vous devez! La ministre fédérale des Transports, Lisa Raitt, elle, ne vous la posera jamais. Lac-Mégantic, c’est son pire cauchemar. Elle ferme les yeux, et ça lui passe!

Répondre «ça va bien», en se brassant la tête et en chantonnant la chanson de Kathleen pourrait faire l’affaire et éviter de s’étendre sur le sujet, surtout que, lorsque vous sortez de la Ville, vous le faites pour vous changer les idées, pas pour les ruminer. Dire que «ça va mal» ouvre grand les portes aux longues complaintes du phoque en Alaska que les gens de l’extérieur sont tannés d’entendre. «Oh non, pas encore eux!»

Prenez un crayon, j’ai la réponse toute faite! Dites qu’on a une épidémie de solastalgia! Ça prend un bout à se l’entrer dans le crâne le nom de cette maladie-là à coucher dehors, un nouveau malaise qui ne figure dans aucun dictionnaire médical, mais qui peut se diagnostiquer en prenant l’ensemble des symptômes post-traumatiques qui se sont développés dans la population ces deux dernières années. Oui, ça sonne un peu comme la «mélancolie» ou la «nostalgie» d’un passé qui s’est effacé, de gens qu’on a perdus en gang, d’un patrimoine bâti qui s’est consumé ou qu’on a carrément démoli pour faire place au progrès! Référence à des parents ou des repères perdus.

La solastalgia se définit plus rationnellement comme ce terrible «mal-être» par rapport aux changements rapides qui se sont opérés dans notre environnement immédiat. Passé le choc de la descente vertigineuse vers les flammes de l’enfer, on a collectivement remonté à la surface avec quelque chose d’innommable pris dans la gorge et qui nous empêche encore de se dire complètement heureux, parce que non complètement guéri! Ça se voit dans nos comportements individuels et familiaux, dans nos rapports avec la société qui nous entoure et plus encore dans les liens de confiance parfois brisés envers les autorités, qu’elles soient municipales, provinciales et fédérales.

Ça ne se lit pas sur nos visages, c’est plus enfoncé au niveau de l’âme devenue plus vulnérable à mesure que l’on prend conscience que l’avenir à laquelle on nous prépare ne sera pas le miroir du temps d’avant, ce «bon vieux temps». Pas étonnant que les équipes psychosociales aient encore du pain sur la planche. On ne redresse pas une population en détresse aussi facilement qu’on peut le faire avec un bâtiment qui penche et qui s’obstine à ne pas s’effondrer.

Pour calmer leur souffrance, des gens expriment de la colère, alors que d’autres ont trouvé leur nouveau cheval de bataille. Ils ne se laisseront plus faire; ils ne laisseront pas tondre comme des moutons ni brûler en sacrifice sur l’autel des intérêts économiques supérieurs. Non, plus jamais! Ils ont vu le danger et s’en veulent d’avoir fermé les yeux, de n’avoir pas réagi avant, quand il était encore temps. Ils observent les autres de leur race, plus insouciants face à un danger qu’ils mesurent mal, tout simplement parce qu’il ne les a pas frappés. Pas encore! Eux font encore confiance à leurs gouvernants qui se montrent rassurants, au nom des enjeux énergétiques et économiques qui passent par plus de pétrole transporté par rail, par pipelines et par bateau. Leur tour viendra!

En attendant, est-ce que la solastalgia se soigne autrement qu’en paquetant ses petits et qu’en sacrant son camp? Maudites émotions toujours à fleur de peau qu’on veut cacher aux autres sans toujours réussir à y parvenir. Qu’on refoule loin à l’intérieur mais qui retrouvent vite le chemin de la surface, parce que sans clapet!

Faudrait pas trop s’en faire! Accepter l’inacceptable, comme sait si bien le faire la ministre Lisa. Tiens, celle-là je l’imagine derrière le micro, dans un Noël du campeur aux abords de Calgary : «Ça va bien ; même quand il pleut le soleil me tend la main ; ça va bien, ça va si bien comme la vie me donne faim, ça va bien ! (…) Je ne me pose plus de questions, je me laisse aller au courant qui mène mon radeau (…)»

Et si on l’invitait à planter sa tente ici, dans le sable chaud du centre-ville, les deux pieds dans l’eau huileuse qui se pompe encore par camions ! Allez Lisa, s’tie, déguise-toi en courant d’air sur la Marche du vent et tend l’oreille aux questions que posent les touristes qui, s’ils sont chanceux, se pointent près de la voie ferrée au moment où un convoi de matières dangereuses passe à très basse vitesse. Fais semblant d’être une sinistrée. Et réponds à leur question: «Comment ça va?»

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