Oscar Brochu

Le rendez-vous de la dernière chance

Le 11 octobre, jour de la marche pour une voie ferrée de contournement, si vous n’êtes pas là, si vous ratez l’ultime rendez-vous, si vous ne serrez pas les coudes, nous serons nombreux à vivre l’indifférence comme une trahison. Je sais, la stratégie de l’ultimatum n’est pas la meilleure, mais le temps presse et je ne trouve pas les mots pour vous faire comprendre que ce jour-là, ce sera la pâque ou le 6 juillet de l’âme.

Son coût n’est pas un argument. On n’a pas le droit de ne pas prêter assistance aux êtres en détresse, on n’a pas le droit d’oublier ni de tourner la page si facilement après avoir investi tellement plus dans l’économie que pour les gens. Sans sourciller, on a donné des milliards à l’industrie automobile et aux minières, deux cents millions aux millionnaires du hockey et cent cinquante mille au député libéral Dutil, de la Beauce, qui quitte son poste à peine un an après avoir été élu. Sans compter qu’il a le front de se montrer généreux avec notre argent. Même s’il y a droit légalement, étant donné le coût d’une élection partielle et son libre choix, à sa place, je me serais gardé une petite gêne. Quand on croit à une cause, c’est dans son portefeuille que l’on pige. M. Couillard a bien raison de répéter que son gouvernement ne pratique pas une politique d’austérité. Ceux qui seraient tentés de jouer les comptables quand il s’agit de la sécurité et de la qualité de vie des gens, ceux-là tiendront-ils le même discours quand on leur prescrira des médicaments hors de prix pour soigner leur cancer?

La sécurité et l’insécurité ont un prix. Que l’on trouve une autre raison que le coût du déplacement de la voie ferrée parce qu’il y a aussi un coût à la faire traverser le cœur de la ville, à lui permettre de l’encercler tant et si bien que les cent vingt wagons d’un convoi ne laissent pas d’autre porte de sortie que le lac. Je ne comprends pas le silence de M. Harper et son obstination à ne pas intervenir, lui dont toute la politique repose sur la sécurité.

Quelle est la mission du député : représenter son parti ou ses électeurs? Messieurs les politiciens, que faudra-t-il qu’il nous arrive de pire pour que vous consentiez à nous représenter au lieu de bêtement suivre la ligne du parti? Dites-nous combien de drames encore pour que vous acceptiez, enfin, de sortir de votre mutisme stratégique? Il faut que nous sachions sur qui nous pouvons compter si un autre malheur devait survenir. Sommes-nous condamnés aux exercices d’évacuation, à la politique de l’advienne que pourra? Comme pour l’environnement, les oreilles ont beau entendre, elles n’écoutent pas parce que l’esprit est ailleurs et le cœur, perdu dans le calcul.

Voie ferrée inadaptée à la multiplication des convois explosifs. Je sais que la catastrophe du 6 juillet n’est pas due à la voie ferrée, mais à la bêtise humaine. Cependant, le drame nous a fait prendre conscience que la prochaine fois, elle pourrait en être la cause parce qu’elle est mal entretenue et surtout pas conçue pour les longs convois actuels. Il ne s’agit plus de transporter du grain, des autos ou des billots, mais des liquides qui bougent dans les citernes quand ce ne sont pas des produits toxiques (ammoniac, chlore, méthylène, propylène, hydrogène, propane, pétrole, acide sulfurique, etc.). Un cheminot à la retraite m’a expliqué que les convois de quarante wagons d’autrefois étaient tirés par des locomotives dont les roues avaient 72 pouces de diamètre (6 pieds); aujourd’hui, ils comptent plus de 120 wagons, font plus d’un kilomètre et ils sont tractés par des locomotives dont les roues ont 42 pouces de diamètre. Il ne faut donc pas se surprendre qu’elles patinent (spin) et usent les rails qui ne sont pas faits d’acier trempé mais de métal mou. Entre Lac-Mégantic et Nantes, on voit, ici et là, les vagues qu’elles ont creusées dans le fer.

Changements climatiques et coup d’eau. Ce que craignent le plus les cheminots, c’est le coup d’eau (wash’out), aussi imprévisible que violent. Les changements climatiques aidant (sécheresses, crues soudaines) et le développement domiciliaire sauvage où la coupe à blanc est la règle, plus rien ne retient l’eau; petit à petit, le ponceau se mine et, tôt ou tard, le coup d’eau l’emporte. Cela n’a rien d’hypothétique : environ 500 pieds en aval du ponceau montré du doigt par la Coalition, le chemin a déjà littéralement été arraché. Et on prétend que le ponceau sous les rails n’a pas souffert; pourtant, on voit que l’eau a déjà passé et passe encore, à l’occasion, par-dessus la voie ferrée. C’est probablement pour cette raison que l’on a camouflé l’accotement sous le ballast? Comme le développement domiciliaire s’est intensifié depuis, l’eau suit la pente naturelle et mine non seulement le sol, mais la confiance.

Un devoir moral

Le 11 octobre, nous devons être nombreux; 6001 pour être plus précis : tous les Méganticois et au moins un témoin venu d’ailleurs parce que le pays entier est concerné par ce qui nous arrive : personne n’est à l’abri d’une calamité. Nous devons être nombreux parce que c’est notre drame, notre bataille et que nous avons la responsabilité de la suite de choses. C’est une question de solidarité et un devoir moral vis-à-vis le Québec et le reste du Canada. Si nous échouons, nous aurons éteint l’espoir; nous servirons alors d’argument contre l’appel à l’aide des prochaines victimes: «On n’a pas détourné la voie ferrée à Mégantic, on ne le fera pas davantage pour vous.» Il ne s’agit pas de sortir le train de toutes les villes où il circule, mais d’appliquer à une situation exceptionnelle (une catastrophe, une pente abrupte, un centre-ville piégé), une solution exceptionnelle (une voie de contournement). Ce serait une manière d’exprimer notre gratitude pour l’aide et tout l’amour que nous avons reçus. À notre tour d’entretenir l’espoir. Pour le gouvernement, ce serait une manière de rassurer son monde; après tout, c’est sa responsabilité.

Une question de justice sociale

Patrons et travailleurs de la zone industrielle, les commerçants et leurs employés devraient être dans la rue avec nous parce que c’est l’urgence économique qui nous a obligés à reconstruire la ville autour de la voie ferrée: nous voulions sauver des emplois. Maintenant, nous pourrions sauver des vies; l’idée vaut-elle le déplacement? Sommes-nous une communauté ou de vulgaires groupes d’intérêt? Est-on conscient du sacrifice que l’on a exigé des Méganticois? C’est bien de regarder devant, mais il ne faut pas oublier de regarder autour de soi.

À ceux qui hésitent encore: comment colmatez-vous un trou dans le ventre? Comment parviendrez-vous à faire taire les citernes de la nuit du 6 juillet qui continuent de siffler dans nos têtes comme des prestos? Comment expliquerez-vous aux enfants que le train a droit de vie ou de mort? Comment rétablirez-vous la confiance? Comment parviendrez-vous à mettre de la lumière dans un regard voilé? Quand le cœur est malade, on n’hésite pas à faire un pontage; quand le cœur de la ville peine à respirer, étouffé par l’angoisse ou la colère, la solution réside dans le pontage qu’est la voie de contournement.

Mettez le 11 octobre à votre agenda, encerclez la date sur votre calendrier. S’il vous plaît, n’abandonnez pas ceux qui comptent sur vous, ici et ailleurs.

Paul Dostie
Lac-Mégantic

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