Difficile d’être contre la voie de contournement ferroviaire sans manquer de compassion envers les Méganticois ou afficher un manque flagrant de solidarité, pourtant élémentaire. Le truc: s’opposer au tracé ACTUEL et se faire le héros d’une noble cause, c’est-à-dire la protection de la nappe phréatique. Ici, le jupon dépasse en plus d’être cousu de fil blanc. Comment peut-on défendre la nappe phréatique et appuyer un tracé situé de l’autre côté de la 161 sans réaliser qu’il s’agit de la même nappe phréatique? Pourquoi ce qui est inacceptable d’un côté le deviendrait-il de l’autre? Un subterfuge qui soulève des questions. Si les experts du ministère viennent nous dire que le risque est calculé, parions que les opposants engageront d’autres «experts» pour soutenir le contraire. La bonne vieille zizanie où les uns se font plus politiciens que les politiciens eux-mêmes. Quant à la victimisation, rappelons que la souffrance est des deux côtés et qu’elle ne se mesure pas. Le long et douloureux silence des Premières Nations et celui des femmes victimes d’agressions sexuelles devraient nous l’avoir appris.
Quand on s’oppose à l’ACTUEL tracé de la voie de contournement au nom du coût élevé de sa construction, là aussi on prend un raccourci. On sait très bien, peu importe le tracé choisi, que le coût ne sera pas sensiblement moins élevé pour la simple raison qu’on ne construit plus comme avant, que les normes ont changé. Prenez l’exemple du tunnel sous la chaussée devant la ferme expérimentale de Lennoxville, tout juste avant le rond-point de la 410. On l’a creusé pour permettre le passage de quelques tracteurs, mais surtout pour des raisons de sécurité. Pourquoi ce serait différent pour les Méganticois? Ici, circulent de longs convois de pétrole inflammable, de citernes de gaz, d’acides de toutes sortes et autres produits chimiques, en pleine ville.
Lors d’un voyage en France, j’ai loué une voiture et roulé sur les autoroutes et les départementales pendant quelques semaines. Je n’ai pas le souvenir d’avoir traversé un seul passage à niveau parce que les trains suivent les grands axes routiers, passent au-dessus ou sous les routes. On évite à tout prix les passages à niveau. Ici, à l’intérieur de la ville, on en compte six.
À propos du risque, souvenez-vous de la motivation à la voie de contournement routière (le détournement de la 161). 900 camions semi-remorques chargés de bran de scie et autres résidus de bois traversaient la ville pour se rendre à l’usine Tafisa et près de 350 en sortaient chargés de produits finis, chaque semaine. Ce va-et-vient bruyant et dangereux a convaincu tout le monde d’agir, pourtant les semi-remorques ne transportaient pas la chimie explosive et toxique des convois ferroviaires. Et on prétend encore que la voie ferrée qui traverse la ville est le chemin le plus sécuritaire. Il y a là un milieu humain que l’on sacrifie au milieu humide? Pourtant, l’État a l’expérience des mesures d’atténuation et même de bonification parce que, désormais, nous avons conscience de son existence. Qui s’en préoccupait avant le projet de la voie de contournement? On aurait probablement laissé un promoteur y mettre un pied sans trop se scandaliser.
Quand on s’oppose au tracé ACTUEL au nom de la justice distributive parce que la nouvelle voie ferrée sera offerte en cadeau au CPR, on use encore une fois d’un argument spécieux. On sait très bien, peu importe le tracé, qu’elle sera remise au CPR qui profite, depuis la confédération, de la générosité de l’État. Au lendemain de la tragédie, on a reconstruit la voie ferrée sans poser de question; quand on a pensé faire passer la voie de contournement par la zone industrielle, là aussi on ne s’est pas inquiété de subventionner l’industrie et les ferroviaires. Pourquoi, tout à coup, cela devient-il trop cher quand il s’agit de la sécurité et de la santé mentale d’une population? La vie aurait-elle un prix?
Quand on s’oppose au tracé ACTUEL parce que les citoyens n’ont pas à payer les erreurs de la MMA ou du ministère des Transports, on oublie que c’est nous qui élisons les ministres qui facilitent la vie des ferroviaires, des pétrolières et des forestières, ministres qui prêtent une oreille plus qu’attentive à leurs lobbyistes tout en songeant à leur après carrière. Comme nous semblons avoir la mémoire courte, ils pourront, demain, changer les règles d’aujourd’hui. Parce que nous sommes concernés, c’est à nous d’envoyer un message clair à tout ce beau monde, de leur dire que désormais, il y aura un prix à payer pour leur incurie. Si nous passons outre, ils comprendront qu’en plus d’éviter la justice, ils n’auront pas à réparer les pots cassés et à se préoccuper des vies brisées. La population canadienne nous a soutenus, nous avons donc le devoir de leur donner espoir. Pour cela, il faut que «la sentence» soit exemplaire. Ce serait, pour les Canadiens, une sorte d’accusé de réception. La moindre des choses.
En ce qui concerne le morcellement des terres agricoles, c’est peut-être un mal pour un bien. Si l’agriculture manque de relève, c’est en grande partie parce que les entreprises agricoles sont devenues inabordables. Ajoutez à cela que la monoculture pratiquée nécessite quantité d’engrais, de pesticides et d’herbicides en plus d’une machinerie agricole imposante et dispendieuse. Des dépenses qui finissent par piéger les agriculteurs qui ont besoin de toujours plus d’espaces cultivables et de machinerie pour joindre les deux bouts. Pourtant, la permaculture est en train de changer la donne. « La norme conventionnelle du rendement des exploitations traditionnelles au Québec se situe autour de 40 000$ par hectare. Dans le cas des fermes biologiques diversifiées et performantes ce rendement atteint de 80 000$ à 100 000$ par hectare, les coûts totaux représentant de 40 à 45% des revenus. » Fillion, Delorme dans L’heure des choix, p. 104 Le plus extraordinaire, c’est qu’on obtient pareil résultat sans engrais, pesticides, herbicides et machinerie agricole. En morcelant les terres, on les soustrairait à la main mise étrangère, on s’assurerait une relève, on occuperait le territoire et on mettrait sur notre table des aliments sains. Nous ne sommes plus dans l’utopie: à Hemmingford, à Saint-Armand et à Mont-Tremblant, on a même largement dépassé l’objectif de rendement.
Bref, on se dit contre le tracé ACTUEL pour se donner bonne conscience et sauver la face parce qu’on sait qu’être contre tout tracé, ce serait ajouter l’insulte à l’injure. Si Lac-Mégantic n’a pas retrouvé un cœur, c’est qu’on peine à en trouver, tellement que deux locomotives identifiées MMA bloquaient, sans gêne, le passage à niveau de la rue Papineau, samedi midi, le 6 août. Non seulement justice n’a pas été rendue, mais le fantôme des coupables vient nous narguer. Pour la compassion, il faudra repasser. Parfois, je me demande si les victimes de la tragédie avaient été des touristes quel serait notre réflexe. Je suis certain que collectivement nous ferions des pieds et des mains pour sauver l’industrie.
Paul Dostie
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