Sophie Lorain se faisait petite sur la scène Montignac, ce jour-là, pour la rencontre avec les médias. D’apparence fragile, surtout encadrée ainsi de son chum, le réalisateur Alexis Durand-Brault, et de l’auteur, Sylvain Guy. Trois jours plus tôt, sur le plateau de l’émission «Le monde à l’envers», la productrice avait confié à l’animateur Stéphan Bureau être nerveuse dans l’attente de cette projection en avant-première grand public du premier épisode de la série Mégantic, sur Club Illico. «Nous avons fait une dramatique avec Mégantic, ce n’est pas un documentaire. Les gens de Mégantic, il y a tout un aspect politique aussi à cette tragédie-là. Mais nous on n’est pas allés dans l’aspect politique de la chose, on a transposé une impression qu’on a eu des gens. Puis on a essayé d’en faire un récit précis pour que l’extérieur de la communauté puisse comprendre ce qui a été vécu de l’intérieur. Parce qu’on l’a toujours vu à travers la lorgnette des médias, des nouvelles, des journaux… Mais on n’a pas le contact humain, la vraie histoire humaine en arrière de ça.»
L’équipe d’ALSO, la compagnie de production d’Alexis Durand-Brault et de Sophie Lorain, a eu accès à tout ça, ce contact humain, toutes ces histoires, de telle façon qu’après un long processus de création et des mois de tournage, un lien s’est tissé avec les gens de Lac-Mégantic.
L’accueil du public a été bon, pour ne pas dire chaleureux à la projection du premier épisode, le 6 février. Comme un grand soupir de soulagement. Résultat, les personnages que le spectateur est invité à suivre sur huit épisodes sont attachants. De toute évidence, de ce qu’on a vu cette journée-là, la série était un acte nécessaire pour mieux comprendre, enfin, dans quel drame les Méganticois ont réellement joué le 6 juillet 2013.
Une tragédie tout ce qu’il y a d’universel qui nous a appartenue dans le plus profond chaos pendant à peine quelques heures, avant le grand débarquement des autorités civiles et politiques qui ont pris le contrôle de la situation et celui de l’information. À l’aube, quand la nuit a fait place au jour, Lac-Mégantic est devenue un laboratoire social dans une ambiance parfaitement contrôlée.
Une bonne série, traitée de manière honnête, qui, à en croire les épisodes 1 et 3 qui ont été projetés à l’intention des médias, remplit sa mission, celle de montrer la catastrophe de l’intérieur et de faire comprendre au public comment elle a pu se produire. Oui, le sujet est grave, ce n’est pas une comédie musicale. Oui, la souffrance n’a pas de date de péremption. Elle met du temps à disparaître. Le temps qu’il faudra. Ce temps si précieux qui n’a pas été accordé aux victimes, cette nuit-là. Le spectateur suivra des personnages attachants, connus pour la plupart des gens d’ici, certains qui avaient du temps devant eux pour s’accomplir, se réaliser, ou du moins, qu’ils croyaient avoir. Profondément humain. La détresse, la stupéfaction, ce n’est pas du voyeurisme. La série dramatique est interprétée par des comédiens, leur travail remarquable rend hommage à la situation. Il faut cesser d’avoir peur, même peur de pleurer. Le ton de la série exorcise en quelque sorte la douleur, mais pas les émotions, bien rendues par la trame sonore.
Pour le film «Crise à Deepwater Horizon», sorti en salles en 2016 et qui raconte la catastrophe d’une plateforme pétrolière qui a explosé en 2010, dans le golfe du Mexique, le cinéaste Peter Berg a expliqué: «Je ne veux pas que les spectateurs se contentent de s’enfoncer dans leurs fauteuils et regardent ce qui se déroule à l’écran. Je ne veux pas qu’ils soient passifs, je souhaite qu’ils se trouvent au cœur de ce qui s’est passé, qu’ils en fassent l’expérience la plus complète possible.» Des images américaines d’une histoire américaine. Pour Mégantic, l’équipe de production ALSO a voulu raconter une histoire méganticoise, qui est aussi une histoire planétaire.
Dans un avis de santé publique communiquée aux médias par le CIUSSS de l’Estrie CHUS, on prévient: «L’année 2023 marquera pour la population du Granit la commémoration des événements tragiques de 2013. Au cours des prochains mois, cette population sera davantage exposée, à travers les écrans, à des images difficiles rappelant ces événements, que ce soit à travers des documentaires, des reportages ou encore la nouvelle télésérie. C’est dans ce contexte que la Direction publique de l’Estrie s’est interrogée sur les effets potentiels, tant négatifs que positifs, du visionnement de telles images sur la santé psychologique de la population locale.» Crainte évidente du «journalisme de catastrophe», crainte d’une dérive vers le sensationnalisme, le voyeurisme malsain. Rien de tout cela n’est arrivé. La Santé publique le reconnaît elle-même, l’art et la culture peuvent contribuer à la promotion de la résilience et au bien-être de la communauté.
La série Mégantic montre une histoire universelle de tragédie provoquée par une série d’erreurs et de mauvaises décisions. À venir, ce printemps, la sortie du projet documentaire de Philippe Falardeau.
{text}