Oscar Brochy

À nous la rue!

À nous la rue! - Rémi Tremblay : Billet

La Maple Street, l’ancêtre de la rue Frontenac, a été conçue selon la vision de l’époque où la rue principale d’une ville représentait l’espace public central. Un espace dégagé qui laissait entrer le soleil des deux côtés de la rue et où les immeubles ne faisaient pas ombrage à ceux d’en face.

L’homme à l’autre bout du fil se disait inquiet. Avec raison. Il a ouï-dire que la future ancienne rue Frontenac aura les dimensions de la promenade Papineau. En largeur! Un corridor de vent avec des dos de serpent de chaque côté qui font rager les consommateurs à la recherche d’espace de stationnement à proximité et les automobilistes qui ont comme seul souci de traverser du point A au point B. On s’entend, une allée trop étroite pour une voie de communication qui relie les deux rives de la Chaudière. À l’idée que la future ancienne rue Frontenac devienne un copier-coller a de quoi faire peur.

J’ai eu droit à une petite leçon d’histoire locale fascinante. En 1888, c’est la communauté anglaise qui contrôlait les destinées de la ville. On aura beau dire ce qu’on veut des Anglais, on ne peut surtout pas leur reprocher leur côté pratico-pratique. Donc, quand est venu le temps de découper le cadastre de la nouvelle ville, ils ont engagé des spécialistes avec une vision. «Dessinez-nous des rues pour les 200 ou 300 ans à venir !» Même s’ils n’avaient encore aucune espèce d’idée que les attelages et les calèches allaient être remplacés par des véhicules mus par des moteurs à 250 chevaux, ils ont exigé des rues… larges! À l’époque, j’imagine aisément, quand tu conduisais une deux-chevaux pour faire commerce au centre-ville, tu pouvais arrêter l’attelage à gauche ou à droite et faire un «u-turn» pour retourner sur tes pas, sans risquer de pogner un ticket. Les piétons et les cyclistes partageaient allègrement l’espace public.

Si la future ancienne rue Frontenac doit ressembler à la nouvelle section de la rue Papineau, les élus seraient bien avisés de changer de firme d’urbaniste conseil ou de tenir les cordeaux serrés pour éviter qu’ils imposent des rues qui n’ont pas d’allure et qu’on soit pognés avec pendant des siècles et des siècles ! Les urbanistes, on le voit, se croient investis d’un certain pouvoir dont ils abusent parfois. «Vous savez, me confie le citoyen, un passionné d’histoire, les plans d’experts peuvent aussi faire patate!» Et comment donc!

À 66 pieds de largeur, la rue Frontenac était appropriée à sa vocation d’espace public achalandé. Les seules fois où il y avait des goulots d’étranglement c’était toujours à cause du train! Toujours! Même quand les organisateurs d’événement sportif l’utilisaient, on trouvait moyen d’accommoder la circulation. Parce que la rue Frontenac était conçue pour ça depuis au moins 125 ans! On ne la remplace pas par une ruelle où le prestigieux «resort» pourra aligner ses poubelles!

Surtout que le rêve des élus derrière Réinventer la ville c’est de compter un jour 10 000 habitants dans cette ville-centre. Comme l’idée des fusions n’est toujours pas populaire, il faudra travailler fort pour attirer 4 000 citoyens de plus ! En admettant que Lac-Mégantic réalise un jour son rêve, pensez-vous vraiment que deux corridors pour un seul centre-ville vont pouvoir supporter le flot de circulation?

En dessinant le cadastre des nouvelles rues du vieux centre-ville, qui n’a plus rien de patrimonial, on s’entend, à part la gare et la bâtisse du géant des télécommunications Bell, indélogeable même si ça fait poche, parce qu’il a des droits de cité protégés par le fédéral, les urbanistes devront tenir compte des usagers à bicyclette, des usagers en voiture, des piétons, des commerçants, des fournisseurs de services, des égouts, de l’aqueduc, de l’électricité, des services d’urgence, de la sécurité publique, de la signalisation, de l’éclairage et de l’animation des lieux. Beaucoup, beaucoup de monde à contenter, en plus d’une petite marge de manœuvre à se garder au cas où, un jour prochain peut-être, le gaz naturel va nous arriver par pipeline. Il ne faudrait pas qu’une fois la rue construite, on la creuse et recreuse chaque fois qu’on se rend compte qu’on a oublié quelque chose comme ça s’est fait lors des travaux de la rue Laval.

Le cadastre des rues du vieux centre-ville devra répondre d’une gestion concertée plutôt que d’une illumination descendue du ciel par le Saint-Esprit, pour créer quelque chose d’artificiel. Une urbanité qui ne nous servirait pas, comme population, mais plutôt inventée pour d’éventuels touristes. Il y a trop de ces gens qui veulent profiter du grand trou creusé à même notre passé pour faire évoluer les mentalités locales d’un brusque coup de volant là où se trouve leur intérêt.

J’ai lu quelque part que «l’urbanisation est un facteur de développement.» Elle peut être aussi un risque politique et économique que Lac-Mégantic n’a pas les moyens de prendre à la légère. Négliger la largeur de la rue Frontenac pour laisser plus d’espaces où investir, pour rentabiliser au maximum l’espace privé, ne serait pas un bel héritage pour les générations futures. Ni un beau témoignage sur celles qui nous ont précédés.

Les fantômes qui hantent l’immense trou, au dire de certains surveillants, viendront nous hanter si on laisse faire un développement qui ne sera pas harmonieux et qui ne servira que des intérêts privés, au prix d’une réduction des espaces publics qui appartiennent à tous. «L’urbanisation est une création humaine, mais elle ne peut être improvisée», ai-je lu. L’erreur aussi est humaine, surtout quand elle est improvisée !

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