Oscar Brochu

Le transport du pétrole par train

Dès le tout début de son histoire, le Canada a su assurer son intégrité territoriale et son développement économique et social en grande partie grâce au transport des personnes et des biens par voie ferroviaire d’un océan à l’autre. Dans ce contexte, le réseau de transport ferroviaire canadien est toujours considéré comme le 3e en importance dans le monde. Aujourd’hui encore, l’implantation d’une industrie ou d’un service dans une communauté demeure conditionnelle à l’accès à divers modes de transport, dont celui par train.

Toutefois, après la Seconde Guerre mondiale, le secteur ferroviaire a connu un important déclin tant au Canada qu’aux États-Unis. Ce phénomène s’est accentué au fil des ans avec l’accroissement du transport par camion, par automobile et par avion. La perte de vitesse du transport par rail au Canada a entraîné au fil des ans d’importants problèmes de rentabilité et d’efficience dans ce secteur d’activités économiques, autrefois très prospère. Comparativement à l’Europe, la perte de certains marchés et les conséquences diverses de l’affaiblissement du secteur ferroviaire nord-américain ont fortement retardé sa modernisation et les développements technologiques liés au transport par rail sur le continent nord-américain. La construction des voies ferrées a de ce fait très peu évolué depuis le siècle dernier en lien avec l’utilisation toujours très répandue des travers de bois, tout comme au temps du Far West. De plus, que penser de la conception toujours très archaïque des systèmes de freinage des locomotives et wagons et de la grande vulnérabilité au déraillement et aux déversements des wagons-citernes transportant des matières dangereuses.

Au début des années 90, cette réalité a aussi conduit l’industrie du rail vers la privatisation complète de tous nos transporteurs nationaux. Elle a entraîné dans son sillage d’importantes rationalisations d’effectifs au sein des compagnies de chemins de fer. Une dérèglementation du transport par rails a rapidement été enclenchée sous les gouvernements libéraux de Paul Martin et conservateurs de Steven Harper. La signature de l’Entente de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1989 sous le gouvernement Mulroney en avait d’ailleurs amorcé le processus. Dans cette optique, nous assistons au Canada depuis 2002 au phénomène de l’autogestion quasi complète des normes de règlementation et de sécurité ferroviaire par les compagnies de chemins de fer elles-mêmes. Malgré l’implantation timide des SGS (systèmes de gestion de la sécurité), les résultats se sont rapidement fait sentir au niveau de la diminution du nombre des inspections terrains et de la baisse de fréquence de l’entretien du matériel roulant et des voies ferrées canadiennes.

Dans le contexte de ces carences observées au cours des dernières décennies dans le secteur du transport ferroviaire au pays, le Bureau de la Sécurité des Transports du Canada nous rappelait toutefois dès 2013 que le transport du pétrole par train au Canada constituait un nouveau phénomène ayant connu, entre les années 2009 et 2014, une augmentation fulgurante. Selon Radio-Canada (8 juillet 2013), l'Association des chemins de fer du Canada confirmait que cette augmentation serait passée de 500 citernes en 2009 à 140 000 citernes en 2013, soit 280 fois plus de pétrole. En 2009, les trains transportaient près de 300 000 barils de pétrole chaque année. En 2013, 84 millions de barils de brut circulaient sur les voies ferrées canadiennes. L’Association canadienne des producteurs pétroliers estimait de plus que la capacité de chargement ferroviaire qui était de l’ordre 800 000 barils par jour période en 2014 et aurait pu atteindre 1,4 million de barils par jour vers la fin de 2016, n’eût été la baisse des prix du pétrole au cours de cette même période.

Dans le billet de Bernard Schepper paru le 22 octobre 2013 pour le compte L'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS), l’auteur raconte qu’en dépit des fortes hausses enregistrées au niveau du transport du pétrole et des matières dangereuses par rails, le gouvernement fédéral a continué d’effectuer des coupures budgétaires de l’ordre de 19% dans la sécurité ferroviaire entre 2010 et 2014. Selon l’auteur, on comptait un inspecteur pour 14 wagons-citernes de pétrole brut en 2009, alors qu’on en comptait un seul pour 4 000 wagons-citernes en 2013.

Malheureusement, cette augmentation significative du nombre de barils et de citernes transportant du pétrole par rail au Canada a rapidement été assombrie par un triste bilan. La tragédie ferroviaire du 6 juillet 2013 de Lac-Mégantic en est la démonstration la plus marquante. Il faut aussi rappeler l’horreur et les désastres environnementaux des trois autres déraillements avec déversement de pétrole brut et incendies majeurs qui ont suivi à Plaster Rock au Nouveau Brunwick en 2014 et à Timmins et Gogama en Ontario en 2015.

Depuis la Tragédie de 2013 à Lac-Mégantic, on dénombre une vingtaine de déversements de pétrole par trains tant au Canada qu’aux États-Unis. Pour la période, entre 2009 et 2014, l’organisme fédéral (BST) a investigué 25 déraillements de trains transportant du pétrole et des produits dangereux au Canada, dont trois au Québec et deux en Ontario. Selon les statistiques du BST, entre 2015 et 2017, le nombre d’accidents avec marchandises dangereuses sur rails au Canada se situerait à 145 accidents en 2015 et à 107 accidents en 2016. La moyenne annuelle entre 2011 et 2015 porterait ce nombre à 141 accidents avec marchandises dangereuses sur rails au Canada.

La majeure partie de ces déraillements a eu comme cause première le mauvais état des rails et du matériel roulant. Dans son rapport d’analyse de simulation en laboratoire (LP 188/2013) rédigé en avril 2014 suite à la tragédie du 6 juillet 2013 de Lac-Mégantic, l’organisme fédéral a identifié qu’un problème de géométrie de la voie ferrée était un des trois facteurs ayant contribué au déraillement du train de la MMA à Lac-Mégantic en juillet 2013. Ce dernier provoqua la mort de 47 personnes et détruisit son centre-ville. Le BST ne se faisait pas plus rassurant pour les années 2015 et 2016. Il a dénombré pour cette période un nombre croissant de trains partis à la dérive sans conducteur. De 30 trains partis à la dérive en 2014, il en a inventorié 42 en 2015 et 24 en date de juin 2016. Toujours selon le BST, il y aurait eu 104 accidents ferroviaires au Canada en 2015, dont 15 accidents avec des matières dangereuses incluant le pétrole et ses dérivés.

Très récemment, le 16 février 2017, le BST revenait une fois de plus à la charge en recommandant à Transports Canada l’élaboration rapide de stratégies visant l’atténuation de la gravité des déraillements des trains transportant des matières dangereuses. Cette nouvelle mise en garde était directement en lien avec sa récente enquête R17-01 portant sur le déraillement d’un train bloc de pétrole du CN près de Gogama en Ontario deux ans auparavant, soit en février 2015. L’enquête du BST démontrait clairement que malgré une vitesse moindre du convoi, une rupture d’une éclisse de rail était à l’origine du déraillement de Gogama. Un mois plus tard, le 9 mars 2017, un second rapport du BST (R15H0013) portant sur le déraillement d’un autre train du CN transportant du pétrole brut et du distillant de pétrole survenu en novembre 2015 à Timmins en Ontario, pointait comme cause principale le mauvais entretien de la voie ferrée.

Comme on peut le constater, malgré la promesse d’une prospérité pour le Canada que laisse toujours présager le développement de l’exploitation du pétrole, son transport par train demeure très problématique. À ce chapitre, le nombre important d’accidents ferroviaires avec déversements recensés au Canada ces dernières années en font foi. Tout comme le transport du pétrole par oléoduc, le transit du pétrole par train est encore loin de satisfaire les critères minimaux et acceptables de sécurité et de protection civile et environnementale. L’habitat des communautés et la vie des citoyens habitant aux abords des voies ferrées ne semblent pas préoccuper outre mesure les actionnaires des compagnies de chemin de fer. De plus, que penser de nos politiciens qui jonglent avec nos vies, pour le seul bénéfice du développement économique à tout prix?

Robert Bellefleur
Porte-parole de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire de Lac-Mégantic.

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