Mémoire remis au BAPE

D’abord, il faut que vous sachiez que le feu à peine éteint, on s’empressait de remettre sur ses rails le train maudit au nom de l’urgence économique. Les citoyens ont alors compris qu’ils passeraient après les emplois comme si le camionnage ne pouvait suppléer, un certain temps du moins. Plusieurs sont rentrés dans leurs terres, un peu comme un chat se cache sous le lit pour lécher ses plaies. Déçus, d’une certaine manière trompés, ils se terrent dans le silence. Les opposants à la voie de contournement de Nantes et de Frontenac semblent oublier que c’est aussi pour eux qu’on a reconstruit la voie ferrée trop rapidement et ce, sans égard à la souffrance des victimes.

Autre raison pour laquelle certains manquent à l’appel : les citoyens n’ont jamais fait partie de la solution. On les a tenus à l’écart, convaincus que le jeu des relations et contacts ferait le travail. En choisissant la joute politique, on a privé la population d’un projet collectif qui aurait grandement contribué à son rétablissement. Il y a là, sans doute, des promesses électorales dont on pourra se servir. Vous devinez le cynisme derrière mes mots; nous en sommes malheureusement là. Même la commission pourrait être perçue comme une tentative de noyer le poisson, de donner aux politiciens fédéraux et provinciaux l’occasion de s’en laver les mains parce que habitués de jongler avec les chiffres, les uns valant autant que les autres. Nous sommes fatigués, Monsieur, fatigués.

Survol des options

En ce qui concerne le statu quo, c’est une aberration, peu importe qu’il serve de point de référence. On ne comprend pas pourquoi la voie ferrée déchire encore la ville. Nous aurions été une réserve mohawk, le train de l’enfer passerait ailleurs. En attendant, il nous passe impunément sous le nez comme le plus triomphant des doigts d’honneur.

Le statu quo amélioré. Il faut avoir du front pour le prétendre ou se prendre pour Donald Trump pour y voir une solution. De l’aberration, on passe à l’absurde absurdité du Père Ubu d’Alfred Jarry. On voudrait nous clouer au mur comme une corneille sur la porte de la grange, on ne ferait pas mieux. C’est d’un tel cynisme que je comprends qu’on perde la foi, qu’on reste chez soi. S’en remettre aux seules mesures de sécurité pour régler le problème, c’est demander à l’enfant défiguré par le pitbull d’aller promener le chien. « Ne crains rien, petit, on lui a mis une muselière.»

Peu importe l’option, pourvu que les trains sortent du centre-ville. Cependant, il faut éviter, autant que possible, de faire vivre aux autres ce que nous avons vécu. Soyons respectueux.

La catastrophe du 6 juillet 2013 : 47 victimes, des orphelins, des centaines d’endeuillés. Deux suicides, une population traumatisée et le départ de certains pour un ailleurs plus rassurant. Ici, les trains ne sifflent plus : ils hurlent. Ma belle-mère, 85 ans au moment du drame, a sombré dans une profonde dépression un an après l’explosion.

Deuxième pente raide au Canada après les Rocheuses : la ville est coincée dans sa cuve. Souvenez-vous de la vitesse à laquelle le convoi est entré au centre-ville. Au pied des pentes, la gravité est une évidence. La nuit, j’entends les freins des wagons crisser, et je vous le jure, ils ne sont pas les seuls. Fer contre fer : j’imagine les flammèches. Combien de fois ont-elles allumé des feux de broussailles? Cela n’a rien de rassurant quand on réalise qu’au-dessus des roues, il y a et aura des dizaines de citernes chargées de pétrole, d’acide sulfurique et autres produits toxiques. J’entends aussi les locomotives hurler leur priorité aux passages à niveau et les moteurs tempêter lorsqu’ils tractent les lourds convois. La vaisselle dans les armoires en tremble.

Un centre-ville complètement détruit. Après la nuit d’horreur, la perte de notre patrimoine et de nos repères, sans oublier les expropriations déchirantes. Il est plus facile de compter ce que cela coûte que de prendre la mesure de la détresse humaine, souvent invisible à l’œil. Quand un chien mord un enfant, on l’euthanasie; quand le train nous arrache le cœur, on le sanctifie, au nom de l’économie.

Un centre-ville piégé parce qu’ici les longs convois explosifs ne font pas que traverser la ville, mais encerclent littéralement le centre-ville ne laissant aucune autre porte de sortie que le lac. Les citernes n’ont pas l’innocence des trains de marchandises. Le 6 juillet, deux maisons ont pris feu par le lac. Et ce, c’est sans compter les fardiers qui peuvent manquer de freins.

Comme le nouveau centre-ville sera davantage habité qu’avant : on a une obligation morale de rassurer et de protéger sinon, on comprendra que la vie a un prix. Nous avions une vie; avec le nouveau centre-ville éclaté, le train est un véritable obstacle à la cohésion sociale nécessaire. Les commerces sont à la périphérie; les citoyens, au centre et dos à dos. Il nous faut un cœur, non pas une avenue bêtement commerciale et un semblant de quartier résidentiel. Pour retrouver ce que nous avions, il faut que le train sorte de la ville afin que les parties puissent rêver d’un tout.

C’est aussi une question de qualité de vie. Nous voulons retrouver la vie simple et tranquille que nous avions. Qu’on nous donne la paix! Est-ce trop demander : la paix, rien que ça, la paix de paix?

Une question de justice également : il faut envoyer un message clair afin que les coupables comprennent qu’ils paieront désormais le prix de leur négligence. Lac-Mégantic devrait être le symbole du prix à payer, un exemple de justice réparatrice, un cas de jurisprudence. Comme le cœur est dans le portefeuille, peut-être que les bandits cravatés finiront par comprendre. Comment avoir confiance, quand au lendemain de la catastrophe, le gouvernement se contente d’exiger une couverture d’assurance de 75 millions? Comment avoir confiance quand les coupables ne seront pas inquiétés, et que les petits passeront devant le juge? On croirait vivre « Les animaux malades de la peste » de Jean de La Fontaine.

La santé mentale et la qualité de vie doivent compter autant que les emplois qu’on ne se gêne pas de subventionner à tour de bras. Que l’on consulte les services hospitaliers et les pharmaciens pour évaluer l’ampleur du traumatisme. Ce n’est pas parce la misère des petits ne fait pas la une qu’elle n’existe pas. Les gens du recours collectif (Richter) pourraient vous être utiles parce qu’ils ont répertorié tous les cas afin d’indemniser chacun à sa juste valeur.

Une voie de contournement parce que le rapport de confiance est irrémédiablement brisé entre le ministère des transports et les Méganticois. Faut-il le rappeler, les règles de sécurité ont été minées et elles le seront sans doute encore par l’appât du gain incarné par les lobbys. Faute de pouvoir changer la nature humaine capable du meilleur comme du pire, déplaçons la voie ferrée.

Une voie de contournement pour des raisons de sécurité parce qu’en 2014, au lendemain de la catastrophe de 2013, 102 trains ont déraillé sur une voie principale. « Vingt-cinq de ces convois transportaient des matières considérées dangereuses par le BST, par exemple des explosifs, des gaz, des éléments radioactifs et du pétrole brut. » En février 2017, à Montréal (Hochelaga), un convoi a terminé sa course dans une maison; en avril 2017, à Sherbrooke, un convoi a déraillé sur une surface plane et en ligne droite. Aujourd’hui encore, on ne vise pas tant la sécurité que la norme acceptable, le degré de tolérance. La preuve : les classes 1, 2 et 3.

Le coût de la voie de contournement ne peut être un argument massue parce que je me souviens : de l’éléphant blanc qu’a été l’aéroport de Mirabel; de l’échec coûteux de Pétro-Canada; du coût exorbitant de l’annulation du contrat des F18; de l’achat absurde des sous-marins anglais « insubmersibles »; du scandale des commandites dont on attend encore le remboursement; des milliards donnés aux banques pourtant responsables (papiers commerciaux) de la crise économique de 2008; du soutien généreux à l’industrie automobile; du décret ministériel autorisant la famille Bronfman à sortir des centaines de millions sans charges fiscales; que le pétrole qui traverse notre ville est destiné à la compagnie Irving dont le siège social est dans un paradis fiscal; des minières dont les profits sont privés mais les ennuis toujours publics; du 100 millions $ en subvention au hockey professionnel et milliardaire; des millions aux multimillionnaires de la course automobile et tantôt, à ceux du baseball majeur; des milliards à Bombardier sans compter les nombreux programmes directs et indirects; du scandale des lois laxistes et immorales permettant l’évitement et l’évasion fiscale en toute légalité et impunité (KPMG).

On nous reproche de s’être installés le long de la voie ferrée; c’était au temps où on transportait du bois, du blé, des autos et des animaux. Rien de comparable avec les citernes explosives. Pour ce qui est du centre-ville, ce n’est pas aussi simple. En 1888, l’International Railway a obligé la Ville à exproprier et à acheter les terrains pour les lui donner. C’est la compagnie qui a décidé que son point divisionnaire serait là.
Nous n’avons pas à craindre le précédent : à une situation exceptionnelle, une solution exceptionnelle.

Paul Dostie

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